1798: Le prix de la liberté
La révolution divise les Vaudois et coûte le lard du chat au nouveau canton.
Longtemps l'historiographie vaudois e a présenté le 24 janvier 1798 comme le début de la grande fête de l'indépendance. Les arbres de la liberté plantés un peu partout, les scènes de liesse, la cocarde verte aux chapeaux des hommes, des rubans de même couleur au cou des femmes, le renvoi pacifique mais ferme des baillis bernois, l'armée française accueillie comme une bénédiction. Tout cela est avéré. Mais les historiens ont rectifié peu à peu l'image d'Epinal. Une armée de 11?000 hommes, fût-elle républicaine et française, ne campe pas impunément sur le Plateau vaudois. Cela a provoqué des protestations et même des résistances.
L'histoire est bien connue: sous l'influence du Rollois Frédéric-César de La?Harpe établi à Paris et en raison de l'intérêt stratégique de la Suisse, sans oublier l'attrait du trésor de Berne (qui servira à financer la campagne d'Egypte de Bonaparte), le Directoire envoie le général Ménard avec une armée à la frontière. Les Vaudois proclament leur indépendance le 24 janvier. Ménard dépêche son aide de camp avec une sommation au général bernois établi à Yverdon: Berne doit retirer ses troupes et reconnaître l'indépendance vaudoise. Un obscur incident a lieu à Thierrens le 25 janvier: les messagers essuient des coups de feu de la milice locale; deux hussards sont tués. Le prétexte est trouvé. L'armée française peut entrer dans le Pays de Vaud, puis se lance à l'assaut de Berne, qui tombe le 5 mars.
Payer la solde des soldats
A peine arrivé, le général Ménard demande un «prêt» qui ne sera pas remboursé: il s'agit, écrit le général, de «payer la solde de mes soldats, qui sont en arrière de décades. Il me faut environ sept cent mille francs». A cette demande, Ménard ajoute que Vaud doit mettre à disposition des fournitures pour entretenir la troupe. La liste est longue comme un jour sans pain. Et puis, en février, les Français demandent d'enrégimenter 4000 jeunes Vaudois pour contribuer à prendre Berne.
Le Morgien Henri Monod, un des pères de l'indépendance, décrit l'état d'esprit: «On avait déjà fait beaucoup de sacrifices… Il avait fallu livrer ce qu'on avait pour l'emprunt fait par Ménard; les logements, les fournitures aux Français écrasaient. Donner encore ses enfants et s'imposer de nouvelles dépenses pour les entretenir, sans parler des dangers qu'ils allaient courir, cette perspective était effrayante.»
L'Assemblée provisoire qui dirige le canton s'efforce de répartir l'effort entre toutes les régions. La grogne monte et la famine se déclare dans les régions où est cantonnée l'armée. Payerne et Moudon crient misère. Orbe charge des chariots pour nourrir Moudon. Parmi bien d'autres, la commune d'Orzens est sommée de fournir cinq chevaux. Elle répond qu'elle n'en donnera que trois. «S'ils ne suffisent pas, nous fournirons de mauvais chevaux qui ne valent presque rien pour travailler.» Le mécontentement éclate tantôt là, tantôt ailleurs. Le 29 janvier déjà, des hommes de Sainte-Croix font une descente en direction d'Yverdon, «insultant les bons citoyens, foulant aux pieds les cocardes vertes, ayant coupé les arbres de la liberté». Début mars, plus de 150?hommes de Sainte-Croix, de Baulmes et de Vuitebœuf affrontent les troupes française et vaudoise à Vugelles et à Vuitebœuf. Il y a près de 20 morts. Les canons envoyés par les «Allemands» sont saisis. Lors de la conscription des 4000 «volontaires» Vaudois, on entend des cris: «Vive Berne!» à Lucens ou à Ecublens. Six cents Vaudois rejoignent même les rangs de la Légion fidèle, une troupe destinée à seconder Berne dans la lutte contre la France.
C'est la vallée des Ormonts qui va résister avec le plus d'énergie aux libérateurs. Mais, à l'inverse, de vrais mouvements de sympathie pour le nouvel état de choses vont se manifester. Parmi les partisans de la révolution, les mineurs de Bex. Ils improvisent des drapeaux pour monter à l'assaut des Alpes vaudoises. L'un d'entre eux est vert et blanc et trois mots sont écrits dessus: «Liberté et Patrie».
Source: 1798 : à nous la liberté, Chronique d'une révolution en Pays de Vaud, Corinne Chuard, Lausanne 1998
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Fidèles, les Ormonans résistent
Les troupes révolutionnaires sont accueillies à coups de fusil
Faut-il adhérer au Pays de Vaud et à la liberté ou rester fidèle aux Bernois? C'est la question qui se pose en ce début d'année 1798 dans les quatre mandements du Gouvernement d'Aigle (Aigle, Ollon, Bex et Les Ormonts) attachés à la République de Berne depuis 1476. Du côté de Lausanne, le choix est fait. Au matin du 24 janvier 1798, des Lausannois proclament l'indépendance du Pays de Vaud, qui était sous le joug bernois depuis 1536.
A l'Est, on hésite. Rapidement, la plaine adhère à la Révolution vaudoise. Les Ormonans sont plus partagés. Ils souhaitent maintenir leurs anciens droits (privilèges fiscaux et maintien des coutumes locales notamment). «Ils ne pouvaient en effet être que reconnaissants pour les conditions exceptionnelles que Leurs Excellences de Berne (LL.EE.) leur avaient accordées et craignaient de les perdre avec un nouveau régime», rappellent Liliane Desponds et Marie-Claude Busset dans leur opuscule 1798: Résistance aux Ormonts.
Dans la vallée des Ormonts, la résistance s'organise. Le 5 mars 1798, plusieurs combats mémorables se déroulent entre les deux clans. Les troupes franco-vaudoises attaquent les positions bernoises à La Forclaz (depuis Plambuit, sur les hauteurs d'Ollon) et aux Isles (Les Diablerets). Pour tenter de rallier ce dernier site, les révolutionnaires passent par la Croix d'Arpille. La neige est profonde. Un guide égare une partie de la troupe. Faute de ravitaillement, les soldats sont affamés. Ils passent la nuit à Taveyanne et, à l'aube, descendent en direction du Tréchadèze. «C'est un pays par lequel le bon dieu n'a jamais passé», auraient alors dit les Français. Les Ormonans les voient arriver de loin et les accueillent à coups de fusil. L'histoire a retenu que le terrain très escarpé et la haute neige ont permis à 200 Ormonans de tenir en respect 700 ennemis jusqu'à ce que les Bernois viennent leur prêter main-forte.
A la tête des troupes franco-vaudoises, l'officier Gabriel Forneret est mortellement blessé. Une balle – une pointe de fossoir, selon certains – tirée par Moïse Nicollier. Dépités, les Vaudois battent en retraite. Les Ormonans regagnent le Plan des Isles où ils apprennent que La Forclaz et Le Sépey ont capitulé. La fin de la résistance est proche. Le dimanche suivant, les pasteurs lisent en chaire la déclaration du Directoire vaudois qui marque l'indépendance totale du Pays de Vaud.
Corinne Feuz ?
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