1981: Simenon se met à nu
Parution des Mémoires intimes du plus Lausannois des écrivains belges

La vie de Georges Simenon (1903-1989) fut le plus extraordinaire des 192 romans signés de son nom, dont les derniers chapitres auront été lausannois. Les maisons vaudoises de Simenon, du château d'Echandens à l'humble maison rose de l'avenue des Figuiers, en passant par le bunker sans âme d'Epalinges, résument à elles seules une destinée. Or la courbe de celle-ci marque déjà les romans les plus significatifs de Simenon, rêve ambivalent de gloire et de cloche: l'histoire d'un type qui aspirait à «tout avoir», femmes et châteaux, avec la conscience sourde, mêlée de culpabilité, que sa vérité dernière était ailleurs. De La fuite de Monsieur Monde à L'homme qui regardait passer les trains, entre cent autres romans, Simenon a raconté l'histoire de ceux qui, un jour, prennent la tangente et se retrouvent au fin fond de la brousse ou sur un trottoir parisien. Comme si l'homme nu était l'homme vrai. Et la vie même de Georges Simenon, au sommet de sa gloire littéraire mondiale, est là pour rappeler la misère de notre condition: la réussite apparente coïncidant avec le gâchis. Dans notre Suisse au-dessus de tout soupçon, dont ses livres ne disent quasi rien, derrière les murs d'une bâtisse blanche qu'il baptise Noland, l'un des écrivains les plus lus et les plus riches du monde vit, au cours des années 70, un enfer domestique. De quoi moraliser? Même pas. Juste de quoi compatir ou, pour reprendre la formule du romancier: «Comprendre et ne pas juger...»