À l’aube de l’an neuf, une vidéo a fait le buzz: on y voit le CEO du mastodonte médiatique Ringier («Blick», «L’illustré», etc.) plastronner en zélé promoteur de la politique sanitaire officielle. Les innombrables rédactions sous son autorité, affirme-t-il, ont été incitées à soutenir le gouvernement dans la crise Covid.
Jusque-là, je vois bien le problème: quel maladroit, ce Marc Walder, voilà qui ne va pas arranger l’image de la presse, souvent accusée d’être «à la botte du pouvoir».
Ce que je ne comprends pas, c’est l’usage qui a été fait de cette vidéo en vue de la votation du 13 février sur l’aide aux médias. Les adversaires de la nouvelle loi nous expliquent que l’État ne doit pas subventionner la presse car cette dernière se mettrait alors à ramper «à la botte du pouvoir».
La vidéo est censée illustrer ce danger… Sauf qu’elle démontre l’inverse: un grand chef de presse y déclare son empressement à se mettre «à la botte du pouvoir», spontanément et pour pas un rond. Il y a un truc qui ne cadre pas, quelqu’un peut m’expliquer?
Vidéo mise à part. En tant qu’insider au long cours, j’ai envie de dire ceci: on se fait une image très romanesque des «bottes du pouvoir» qui menaceraient l’indépendance journalistique. La réalité est plus triviale. Dans les rédactions, les diktats venus d’en haut sont exceptionnels (en Suisse, donc). Le véritable ennemi de l’indépendance journalistique est intérieur.
Pour une raison toute bête: il est plus facile et rapide de traiter un sujet en recyclant la matière prémâchée d’une conférence ou d’un dossier de presse qu’en se posant ses propres questions et en se sortant les pouces pour y répondre. Les idéaux du métier, c’est beau, mais quand il faut les concilier avec l’horaire de la crèche et les soirées entre amis, on relativise, on baisse la barre des ambitions.
«C’est fatigant, la liberté», dit le sage. Voilà pourquoi le conformisme et l’allégeance à l’autorité sont la pente naturelle de l’être humain. Et les journalistes ne sont que des êtres humains parmi d’autres.
Il faut s’y faire, la question n’est pas: comment protéger l’indépendance et la curiosité naturelles des journalistes des insupportables intimidations du pouvoir? Mais: qu’est-ce qui peut encourager les journalistes à résister à la puissante, à la redoutable loi du moindre effort?
Une réponse est: du temps, des moyens. Des subventions. Pas LA réponse, hein, ce serait trop beau. Disons, une réponse aussi bonne que possible, aussi modeste que nécessaire. Et n’allez pas dire que je n’ai pas inventé la formule en toute indépendance.
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Tout va bien – À la botte du pouvoir