Haute horlogerie vaudoiseÀ la Vallée, le musée d’Audemars Piguet fait vibrer le temps
Lancé il y a six ans, le «musée-atelier» dédié à l’horlogerie et à l’histoire de la manufacture ouvre le 25 juin, dans une prouesse architecturale unique en son genre.

Nous avons un nouveau musée, et pas le moindre. Fin juin, si tout va bien, dans ce dernier recoin de sol vaudois qu’est Le Brassus, la manufacture Audemars Piguet ouvrira au public son «musée-atelier». Un de ces endroits d’exception. Il est signé du bureau Bjarke Ingels. Ces Danois, devenus des vedettes de l’architecture, qui ont notamment dans leurs cartables le futur building du World Trade Center, numéro deux, à New York.
Le résultat est une spirale. Ou plutôt un spiral de montre transformé en serpentin de verre, de laiton, de bois et de prairie fleurie, le tout confortablement installé dans la pente menant aux marais, derrière la maison originale de la manufacture. Une sorte de petit tourbillon de verre qui sort de cette herbe toujours verte de la Vallée. «C’était ça la difficulté. Un musée, mais pensé comme une montre», se réjouit le nouveau conservateur, Sébastien Vivas.
Cliquetis et transparence
À l’intérieur? Un doux cliquetis contemporain sortant des murs. Un large vestibule, puis un parcours sinueux qui se déguste. On marche sur un conglomérat de pierres du Jura, rythmées de barres de laitons en guise de joints, et entre des parois de verres. Aucun mur ne porte ce plafond de béton où il a fallu gérer l’écoulement des eaux. Le jeu des reflets, des courbes, des lumières – chaque montre dispose de deux spots savamment réglés – plonge le visiteur dans un parcours aux détails épurés, au silence et aux lumières riches.
On y trouve des vitrines droites, d’autres courbes et mesurées, un peu d’art contemporain, de la matière brute avec du minerai tiré des anciennes mines du Risoud à l’entrée, un automate, une série de bulles de laitons laissant les garde-temps se deviner, des photos vintages, et au milieu de tout ça des horlogers au travail dans une bulle de verre, limant une pièce centenaire sans cacher aux visiteurs un paquet de chewing-gum et des chocolats qui traînent dans un coin. Audemars Piguet a déplacé dans son nouveau musée une partie des ateliers des grandes complications (la production reste invisible) ainsi que quelques établis laissant les visiteurs s’essayer à leur tour à perler un boîtier. Mais aucun écran ou presque. La maison horlogère vaudoise fait le pari du classique et d’une absence totale d’interactivité numérique. Normal, pour un parcours réservé aux visites guidées. Il fallait tout de même oser.
Geste d’autorité
Et là-haut, le projet a autant attiré les louanges que des grincements de dents, dans cette région habituée aux alignements de façades de tôle et de moins en moins aux gestes imposants des manufactures. Parce que c’est bel et bien le cas. En une poignée d’années, Audemars Piguet a presque doublé son chiffre d’affaires (plus d’un milliard en 2018) sans que les chaînes de production explosent. La manufacture a lancé une nouvelle collection aux côtés d’un nouvel hôtel (signé BIG lui aussi, ouverture cet hiver), ce musée, une nouvelle usine au Locle, et un «campus» destiné à remplacer son centre de production des Forges au Brassus. Rien que ça. Un développement, une stratégie marketing, bien destinée selon les connaisseurs à montrer que l’une des rares maisons encore en mains familiales est devenue LA marque de la Vallée. Un sacré signal, qui ouvre au public, alors que l’horlogerie se remet à peine d’un certain coronavirus.
N’oublions pas les montres. 300 en tout dans le dispositif. Le parcours mise sur l’humain et les pièces. Ou l’inverse. Il y a les premiers goussets réalisés dans l’entourage des frères Piguet et Audemars à la fin du XIXe, d’autres petites perles, une merveille au centre, l’Universelle de 1899, Code 11.59, le calibre ultrafin 2120 dans une version calendrier perpétuel de 1989, une Royal Oak spécialement faite pour un certain Michael Schumacher… De quoi mettre en avant la marque, évidemment, mais aussi la culture horlogère au sens large dans laquelle elle a évolué. «On vise les amateurs, le grand public, les mordus de montre ou d’architecture, poursuit Sébastien Vivas. L’idée est de traduire leur fascination durant la visite.»
Reste à savoir quel sera l’effet de cette nouvelle expérience didactique dans la culture horlogère et le tourisme régional, notamment vis-à-vis de l’Espace Horloger, au Sentier, qui mise également sur les grandes complications combières. Reste à savoir aussi comment les autres maisons de la place, avec leurs projets de musée en cours, réagiront.
Le musée-atelier s’attend à moyen terme à seulement quelque 5000 entrées (à 30 fr. par adulte) par année, pour l’essentiel sur réservation. Assez dans tous les cas pour apporter un autre tempo aux musées vaudois.
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