Vous connaissez évidemment cette maxime que j’affectionne: «Les mots ont un sens.» Tant le poids de ces derniers ne semble pas toujours peser lourd au moment de les utiliser. La guerre actuelle est aussi lexicologique. D’ailleurs, Meta – ceux qui régissent désormais ce qu’on peut ou on ne peut pas écrire en toute «démocratie parallèle» sur Facebook ou Instagram – a donné un blanc-seing assez immonde – et je mesure mon vocabulaire – aux amateurs de dérapages verbaux non contrôlés.
«À la suite de l’invasion russe de l’Ukraine, nous avons temporairement autorisé des formes d’expression politique qui violeraient normalement nos règles, comme des discours violents tels que «mort aux envahisseurs russes», a déclaré un porte-parole de Meta à la suite d’une enquête de l’agence de presse Reuters. Pas «je hais les envahisseurs postsoviétiques» ni «j’exècre ce fou de Poutine», mais «mort aux envahisseurs russes». Donc, littéralement, «mort aux» soldats, ces postadolescents qui n’ont pas tous demandé à aller au front combattre leurs frères. Donc, littéralement, «mort aux» civils qui partagent l’idéologie du président russe.
«Ici, quand quelqu’un menace de vous tuer via les réseaux sociaux, vous portez plainte.»
«À mort!, Mort à!» nous explique pourtant le Larousse, sont des «exclamations par lesquelles on souhaite publiquement la mort de quelqu’un». Ici, quand quelqu’un menace de vous tuer via les réseaux sociaux, vous portez plainte. Idem quand quelqu’un le tague sur les murs. C’est d’ailleurs ce qu’on fait Mathilde Marendaz et Zakaria Dridi, les candidats «communistes» de gauche radicale suite à un coup de spray haineux à leur encontre sur l’Hôtel de Ville de Lausanne. Et ils ont bien fait. Car, une nouvelle fois, les mots ont un sens.
La première fois que j’ai véritablement saisi la portée de cette locution interjective, c’était en regardant «À mort l’arbitre» de Jean-Pierre Mocky. Le pitch? Un arbitre siffle un penalty entraînant la défaite de l’équipe locale et est poursuivi par une bande de supporters de l’équipe perdante. Tout ça finit dans un inévitable bain de sang, y compris pour ceux qui n’avaient rien à voir avec l’histoire. Film tiré de l’habilement titré «The Death Penalty» du britannique Alfred Draper. «La condamnation à mort», donc. Celle qu’on croyait appartenir à un autre temps.
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Éditorial sur les dérapages verbaux de la guerre en Ukraine – À mort l’«à mort»