Médecine légaleÀ rebours des clichés des «Experts», Silke Grabherr rétablit sa vérité
Magnifiés par la télévision, les spécialistes de la mort fascinent. Patronne du Centre universitaire romand de médecine légale, la légiste conte l’envers du décor.

Sa parole aussi aiguisée qu’un scalpel lacère avec une précision méthodique les clichés autour de son métier. Quand Silke Grabherr se livre, les images stéréotypées de la médecine légale partent en lambeaux vers la morgue de nos fantasmes cinématographiques. Non, le légiste n’est pas cette icône glamour qui résout des enquêtes en solo dans un labo aux équipements ultrarobotisés. Non, les États-Unis ne sont pas à la pointe de ce qui se fait en matière de science forensique, loin (très loin) s’en faut. Non, ce médecin spécialiste, si doué soit-il, ne travaille jamais seul et oui, dans plus de trois quarts des cas, le héros qui fait parler les morts est… une héroïne.
Si la directrice du Centre universitaire romand de médecine légale (CURML) prend en défaut «Les experts» et autres séries pour adeptes de sang aseptisé, ce n’est pas pour se la jouer: «Cela me tient à cœur de faire connaître notre travail dans son authenticité. Le public s’en fait une image tellement erronée qu’en plus du choc et du deuil, les personnes amenées à nous côtoyer ne comprennent pas qu’on n’obtienne pas nos résultats en deux jours!»
Celle qui a accédé à la direction de cet institut à l’âge de 35 ans viendra à la rencontre du public le 3 juin prochain dans le cadre des Mystères de l’UNIL pour évoquer son quotidien. Les nuits de garde où «l’on peut être réveillé n’importe quand, rouler des heures, chausser des grosses chaussures et cheminer sur un sentier de montagne, arriver dans un quartier glauque, ne pas savoir ce qu’on va trouver», suivies de journées au bloc, à «examiner des corps dans tous les états possibles», les étudier de l’épiderme aux entrailles, ordonner les examens nécessaires, gérer des dizaines de dossiers en parallèle sur une longue durée, le job est aussi harassant que captivant.
«C’est la variété qui m’a attirée dans ce métier. J’ai besoin de ce côté aventure! Et c’est l’un des seuls domaines de la médecine où l’on peut suivre un patient de A à Z.»
«Dans une série télévisée, on a l’impression que le médecin légiste a terminé quand il retire sa blouse en sortant de la salle d’autopsie. La réalité est autre, précise celle qui ne porte d’ailleurs jamais l’emblématique surchemise blanche. On va passer de longues journées à collecter des informations, puis à rédiger des expertises – qui peuvent atteindre 120 pages – et, parfois, devoir les défendre dans le cadre d’un procès. C’est cette variété qui m’a attirée dans ce métier. J’ai besoin de ce côté aventure! Et c’est l’un des seuls domaines de la médecine où l’on peut suivre un patient de A à Z.»
L’énergie positive de Silke Grabherr dans ce quotidien baigné de violence peut surprendre. D’où tire-t-elle plaisir à exercer cette profession? «C’est une question de caractère. J’ai toujours aimé m’investir dans les jobs que j’ai faits. Être serveuse est le boulot qui m’a le plus plu! J’ai aimé écouter les gens qui venaient autant pour boire un verre que pour raconter leur vie.» Du zinc à l’inox, la voilà désormais qui écoute les morts: «Mon but est de donner une dernière parole à la personne décédée. Les vivants rapportent ce qui s’est passé, mais ce n’est pas toujours la vérité. Le mort va raconter, sans tricher, comment se sont déroulées ses dernières minutes. Le savoir est important pour la justice et pour les familles.»
Un maillon de la chaîne
Dans sa mission d’identifier la cause d’un décès et de déterminer si un tiers est intervenu, le médecin légiste n’est pas un héros solitaire. C’est un enquêteur minutieux au service d’une longue chaîne d’intervenants (policiers, brigade scientifique, Ministère public, juges, jurés). «Le légiste est un généraliste pour les morts, il est le responsable du cas. Il se charge de l’examen externe, de l’autopsie, puis il ordonne des examens complémentaires et collecte toutes les informations nécessaires au bon diagnostic. Il va étudier les images radiologiques avec le radiologue, la toxicologie avec le toxicologue, enquêter sur le passé médical…»
Les patients de Silke Grabherr ne sont pas tous défunts. «Mes équipes sont aussi amenées à examiner des vivants, victimes ou auteurs. Quand, par exemple, nous recevons des personnes qui se sont bagarrées, on va avoir deux versions de ce qui s’est passé. En examinant les lésions, on peut savoir laquelle est plus proche de la réalité. Notre job est de reconstruire les événements.»
La recherche occupe également de larges plages dans l’activité du CURML. Sa directrice y a apporté une contribution au retentissement mondial, en inventant l’«angiographie post mortem», un procédé qui reproduit artificiellement une circulation sanguine après la mort et permet d’investiguer sur l’état des vaisseaux sanguins. Silke Grabherr dirige désormais les études des autres, dans de nombreux domaines où les techniques et connaissances doivent encore être affinées.
«Il arrive que certains commencent ce boulot et se mettent à mal dormir, à faire des cauchemars. Dans ce cas, on leur conseille d’arrêter. Il ne faut pas chercher à s’habituer! On est fait pour ça, ou pas.»
Morts ou vivants, les patients du CURML véhiculent une lourde charge émotionnelle. Comment s’en préservent les 30 médecins légistes qui œuvrent parmi 260 collaborateurs répartis en douze équipes entre Genève et Lausanne? «Nous sommes pour la plupart des personnes très, très positives. Au-delà de ce tempérament, on ne travaille jamais seuls, on parle beaucoup entre nous. Mais il arrive que certains commencent ce boulot et se mettent à mal dormir, à faire des cauchemars. Dans ce cas, on leur conseille d’arrêter. Il ne faut pas chercher à s’habituer! On est fait pour ça, ou pas.»
L’approche technique de la mort modifie-t-elle le regard sur l’«après»? Sourire. «Personne chez nous n’est très spirituel. Notre rapport à la mort est concret, scientifique. Tout médecin légiste va vous dire que la mort n’est pas la pire des choses. Le pire, ce sont les choses terribles de la vie.»
«Les Experts » dans la vraie vie: les morts révèlent leurs secrets, Conférence de Silke Grabherr. UNIL, samedi 3 juin, 13h-13h45 Programme complet et inscription pour les Mystères de l’UNIL à retrouver en cliquant ici
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