Exotisme vaudois (13/41)À travers la jungle de béton lausannoise
Du Tunnel au Vallon en passant par le Théâtre 2.21 et le poste de police de Saint-Martin, partout le sauvage se manifeste à qui veut bien prêter l’œil et l’oreille.

La place du Tunnel fait partie des endroits parmi les moins accueillants de Lausanne. C’est pourtant ici que nous avons rendez-vous avec la praticienne chamanique Carine Roth et l’urbaniste du ressenti Monique Keller pour une promenade à travers la ville à la recherche du sauvage.
Cette balade, les deux femmes l’avaient déjà proposée à un petit groupe de personnes lors d’une édition, en juin, de Sauvageons en ville, des rencontres mensuelles autour du sauvage, organisées par le Musée cantonal de zoologie de Lausanne, les Musée et Jardins botaniques cantonaux, la Ville de Lausanne, Lausanne Jardins et le Service Culture et Médiation scientifique (SCMS) de l’Université de Lausanne.
«Nous avons volontairement choisi comme point de départ un endroit stressant et peu accueillant, s’enthousiasme Carine Roth. Quand on a conçu cette balade, on a très vite envisagé de suivre la piste du son. Donc ça commence ici. Écoute…» En effet, il suffit de se taire et de tendre l’oreille pour que les oiseaux se mettent à chanter, malgré le trafic. «Notre progression s’effectue ainsi, en partant du tunnel et de ses bruits mécaniques, en s’éloignant en direction de la forêt, vers des sons toujours plus apaisants.»

Besoin de nature
La pandémie a énormément inspiré les deux traceuses de promenades. «Durant le confinement, les gens avaient l’impression que les oiseaux chantaient plus fort, rappelle Carine Roth. Monique et moi, on avait envie de tourner autour de cette tendresse pour la nature, de montrer que, même si l’on se déconfine, le sauvage est là et qu’il y a quelque chose qui se passe quand je vois cet oiseau qui chante sur la branche et réjouit mon cœur.»
Nous arrivons à l’entrée du boyau béant qui longe la route et mène au poste de police. Même s’il y a plus bucolique comme endroit, il suffit d’y pénétrer pour que le volume du trafic s’atténue. «Lors de Lausanne Jardins 2009, des essences exotiques ont été plantées dans les vitrines, et cette installation fait partie de celles qui ont été pérennisées à la demande du Conseil communal, indique Monique Keller. Ces végétaux, à cet endroit glauque, sont comme des gardiens qui nous rassurent. Objectivement, ça ne change rien, mais psychologiquement c’est énorme! Ça rend l’espace moins hostile.»

Carine Roth surenchérit: «Ces plantes, tu peux les voir mais tu ne peux pas les toucher, à cause de la vitre. Ça exprime de manière très forte notre rupture avec la nature tout comme notre désir infini de contact avec elle. Il y a un lien de fratrie entre l’arbre et moi! Très directement, je descends de l’arbre, et donc j’ai envie d’aller m’y réfugier.»
Comme des animaux
En sortant du tunnel, Monique Keller appuie les propos de sa coéquipière. «En ville, on se comporte comme des animaux. Pourquoi se sent-on bien dans des places médiévales, comme en Italie? Parce que l’espace est fermé et qu’aucun danger ne peut survenir de derrière. Et pourquoi s’assied-on toujours dos au mur? Simplement parce que nos yeux sont sur le devant de la tête et qu’avec un mur derrière soi on est sûr qu’aucune menace ne peut venir de là. On cherche toujours les endroits stratégiques pour se placer, simplement parce qu’on n’a jamais cessé d’être des animaux traqués!»
«On cherche toujours les endroits stratégiques pour se placer, tout simplement parce qu’on n’a jamais cessé d’être des animaux traqués!»
Nous arrivons devant le poste de police de Saint-Martin. Au pied de «la très laide façade des années 80», dixit Monique Keller, c’est un pissenlit qui attire le regard. «C’est ça, le sauvage! Et c’est tellement rassurant, s’enthousiasme l’urbaniste. Malgré les moyens importants mis en œuvre pour éviter que ne poussent les «mauvaises herbes», la nature toujours revient!»

Espaces interstitiels
Nous traversons la route, les oreilles sont malmenées par les travaux alentour. Mais 300 mètres plus loin, devant le Théâtre 2.21, les écoutilles s’emplissent de nouveau de gazouillis. «Regardez ces anciennes structures, il s’agissait d’écuries, indique Monique Keller. Quand on est ici, on est au calme, les façades protègent du bruit. C’est carré, délimité, il y a un soin qui a été apporté à la construction, on sent que ça a été fait avec amour.» D’ailleurs plusieurs personnes s’y tiennent et l’espace est bien tenu. «Regardez à présent en face. C’est une construction des années 1970, mal pensée et qui ne donne pas envie de rester.» Ses murs sont souillés de graffitis. «C’est une chose que je remarque: ce sont les bâtiments faits sans soin et sans amour qui sont le plus souvent tagués.»

On file ensuite au Vallon, dernière étape pour aujourd’hui. «Auparavant, il y avait ici des places de parc, se souvient l’urbaniste. L’association de quartier a invité le jardinier et activiste Gilles Clément, qui milite pour que les usagers se réapproprient l’espace public en redonnant de l’espace au végétal. Les habitants ont pris des marteaux-piqueurs et se sont mis à ôter l’asphalte. Et cet endroit ressemble à présent à un petit jardin agréable où l’on a envie de passer du temps.»
Depuis ce lieu anciennement dévolu aux déchets, on lève les yeux vers le poumon vert de Sauvabelin qui remplit tout l’espace à l’horizon. «C’est un espace de rencontre entre les mondes, entre la ville et la forêt, sourit la praticienne chamanique. Une zone interstitielle où l’on constate que la nature, dès qu’elle en a l’occasion, reprend ses droits. Et ça rassure.»
À écouter en se baladant
Un podcast a été réalisé à partir de la discussion entre la praticienne chamanique Carine Roth et l’urbaniste du ressenti Monique Keller. Vous pouvez y accéder en scannant le QR code avec votre smartphone. Puis laissez-vous guider par leurs paroles et refaites vous-même la promenade lausannoise sur les traces du sauvage.
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