Sous le sapinApprocher l’inclassable Cingria par l’iconographie
A offrir à Noël, un Cingria intime, un Dürrenmatt inédit, un roman graphique, un polar ou encore un premier roman écrit dans une langue envoûtante.

«Cingria. L’extincteur & l’incendiaire»
«Tout est à rebours chez Cingria, perpétuellement, dans les mœurs et l’obliquité de cette pensée dont le cheminement est celui de la foudre», résume si bien Valère Novarina dans la préface de «L’extincteur & l’incendiaire». Un éclairant constat à vérifier dans les 7000 pages des «Œuvres complètes», dont le dernier volume est sorti en 2018. Il fallait bien cela pour circonscrire la production de l’auteur suisse aux origines cosmopolites, né et mort à Genève (1883-1954).
En complément, le présent ouvrage, signé Océane Guillemin et Alice Bottarelli, sous la direction de Daniel Maggetti, invite à entrer par l’image et les manuscrits dans l’univers du vagabond magnifique, aux textes aussi inclassables que lui.
Le volume déploie un foisonnant matériel iconographique, tiré en majeure partie des archives du Centre suisse des littératures en Suisse romande, mais aussi des Archives littéraires suisses, ou de documents collectés auprès des membres de la famille, amis, écoles ou collections de divers musées.
Balisé en sections introduites par de courts textes, le parcours invite à musarder, pile dans l’esprit du peu sédentaire auteur de «Bois sec, bois vert». Du côté de l’image, on y découvre une foule de photos, notamment de l’auteur à tous les âges, en chapeau levantin, canotier, turban ou béret, et de nombreux portraits de l’écrivain signés Géa Augsbourg, mais aussi René Auberjonois ou Jean Dubuffet, dont une lettre atteste de l’estime qu’il portait au «Pétrarque» de Cingria: «C’est le livre le plus important de notre époque.»

Du côté des textes, des reproductions de manuscrits écrits sur tous les supports avec son écriture d’écolier, ou de tapuscrits annotés et biffés, qui éclairent sur sa manière de travailler et de retravailler les textes, copiant-collant avant l’heure. En parallèle à ses écrits, un chapitre montre l’ampleur de ses collaborations à des revues, de la prestigieuse NRF… au catalogue de Charles Veillon! Lire sa chronique sur le manteau, puis découvrir en fin d’ouvrage le manuscrit de l’ouverture du chapitre sur les neumes du «Rythme du plain-chant romain», prélude à «La civilisation de Saint-Gall», en dit long sur l’amplitude de sa production.

Diverses photos ou lettres dessinent également les contours de sa galaxie: ami avec Ramuz, activement soutenu par Henri-Louis Mermod, invité par Dalí ou brouillé avec Cendrars. D’autres pièces, enfin, permettent d’entrer dans l’intimité du personnage: acte de naturalisation française de son arrière-grand-père paternel, livrets scolaires, passeport suisse avec une faute d’orthographe, brouillon de lettre à un critique littéraire ou encore sa carte de lecteur de la Bibliothèque vaticane, que cet érudit a fréquentée, comme bien d’autres en Europe. À signaler encore diverses reproductions de peintures de la main de l’auteur. Un livre qui invite à voyager, encore une fois, avec Cingria.

«Le joueur d’échecs»

Inédit en français, «Le joueur d’échecs», de Friedrich Dürrenmatt, est paru aux Éditions d’En Bas dans un bel écrin, qui reprend la maquette de l’édition originale «Der Schachspieler» (Ed. Officina Lundi) aujourd’hui épuisée. Couverture rigide, carrée comme une case d’échiquier, mise en page jouant avec le motif du damier, les dessins sur des cartes à gratter de Hannes Binder. Dans le texte traduit par Lionel Felchlin, le noir domine également.
L’écrivain alémanique (1921-1990), dont on fête en 2021 le 100e anniversaire de la naissance, était un passionné d’échecs. Il y fait de nombreuses allusions dans ses polars, notamment dans «Le juge et son bourreau» et «Le soupçon». Cette nouvelle retrouvée dans ses papiers après sa mort et publiée pour la première fois en 1998 dans la «Frankfurter Allgemeine» vient rappeler l’esprit grinçant de Dürrenmatt.
L’auteur y met en scène une partie d’échecs où, pour chaque pièce perdue, une personne préalablement choisie doit être tuée. La dame figure obligatoirement la personne la plus proche du joueur, tandis que le participant qui est en échec et mat est prié de se suicider. Charge alors à celui qui reste de trouver un nouvel adversaire. Voilà qui rappelle la série coréenne à succès «Squid Game». Avec une différence de taille, les joueurs ne sont pas de lourds endettés qui n’ont plus rien à perdre, mais des nantis, représentants de la justice de surcroît.

Le sens de ce macabre jeu? Chacun y répondra selon ce qu’il déchiffre dans cette singulière démarche, aidé par l’extrait d’une conférence de Dürrenmatt sur Albert Einstein reproduite en fin de volume, qui évoque une partie d’échecs créée par Dieu. Une lecture courte qui laisse une durable impression.
A offrir aussi
«Ma Même-Pas-Belle-Mère»

La Fribourgeoise Mélanie Richoz conte les choses de la vie avec une tendresse espiègle. Elle récidive avec «Ma Même-Pas-Belle-Mère», roman graphique illustré par le trait à la fois minimaliste et expressif d’Émilien Davaud. L’histoire très drôle et touchante d’une fillette et de l’amoureuse de son père qui s’apprivoisent. Est-ce parce qu’elles ont les deux subi une brûlure accidentelle? Voilà la jeune Émilie bombardant une Anne, bientôt attendrie, de questions téméraires. Poétique, décalé et plein d’espoir.
«Ma Même-Pas-Belle-Mère»
Mélanie Richoz
Éd. Fleurs Bleues, 199 p.
«Dans l’étang de feu et de soufre»

Marie-Christine Horn retrouve ici l’inspecteur vaudois Charles Rouzier («La piqûre», «Tout ce qui est rouge»). Appelé par sa fille, il s’aventure, au péril de sa carrière, dans une enquête officieuse dans la campagne fribourgeoise. Un corps retrouvé en cendres fait hésiter entre crime et combustion spontanée. L’auteure romande restitue de sa plume alerte et évocatrice une vie de bistrot et de village, fait émerger des personnages féminins forts, tout en tirant les fils de secrets bien gardés. Du local qui touche à l’universel.
«Dans l’étang de feu et de soufre»
Marie-Christine Horn
Éd. BSN Press, 178 p.

Ce premier roman de la franco-suisse Rebecca Gisler happe dans une langue singulière aux phrases courant sur un paragraphe entier. L’écriture fleuve cerne en entomologiste un curieux oncle. Un homme gros, boiteux qui n’a jamais vraiment quitté l’enfance, aux certitudes déconcertantes, manies bizarres, manières d’ours et à l’hygiène douteuse. Cohabitant avec son frère et avec «l’oncle» dans une maison bretonne, la narratrice dissèque le frère de sa mère avec curiosité et attachement. Piquant et tendre. CRI
«D’oncle»
Rebecca Gisler
Éd. Verdier, 122 p.
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