Frontière franco-suisseAu chevet d’une grotte précieuse, en attendant les éoliennes
À Jougne (F), des spéléologues ont évacué les déchets de la baume de la Caffode. L’opération visait aussi à alerter du possible impact du projet éolien Bel Coster sur la source du village.

Plusieurs centaines de kilos de métaux divers, un peu d’électroménager «du plastique aussi, mais heureusement pas de batteries ou de bidons d’huile…» C’est le butin détaillé par Lionel Deisz, du Spéléo Club Mont d’Or de Jougne, à quelques kilomètres de Ballaigues, de l’autre côté de la frontière française. Il a été extrait de la baume de la Caffode, une cavité située dans le hameau d’Entre-les-Fourgs, en un samedi de labeur. Pour sa peine, le club local a reçu l’appui d’une vingtaine de collègues français, mais aussi de Suisse, notamment de la vallée de Joux.
«Il y a cinquante ans, il n’y avait pas de déchetterie. Les déchetteries, c’était ce genre de cavité, raconte Lionel Deisz. J’ai discuté avec un ancien qui m’a dit qu’il avait balancé un matelas quand il était jeune. Je lui ai dit que les ressorts qu’on avait trouvés, c’était sans doute lui…»

Mais les spéléologues craignent une autre sorte de pollution, avec l’installation, possible, de neuf éoliennes dans le cadre du projet Bel Coster, qui exacerbe les tensions entre France et Suisse. «À titre personnel, je n’entrerai pas dans le débat pour-contre, explique Lionel Deisz. Mais je dis que la situation géographique du projet et la problématique d’un sol karstique donnent un risque important d’impact sur la qualité de l’eau, qui est actuellement excellente.» Comme le prouvent les nyphargus trouvés dans la cavité: «C’est une sorte de crevette dépigmentée qui ne vit que dans une eau très pure.»
Friture sur la ligne franco-suisse
Depuis les années 90 et des tests à base de coloration, on sait qu’il y a une connexion entre la zone du Bel Coster et le haut de la cavité, qui mène à la principale source du village de Jougne. Spéléologue suisse, et fin connaisseur du dossier, Roman Hapka s’étonne qu’on vienne mettre en danger un système si stable: «Voilà une source qui donne de l’eau de très bonne qualité à tout le village, avec du débit continu toute l’année, et on viendrait déstabiliser tout ça? s’étonne-t-il. On parle là de couler des énormes blocs de béton à dix mètres dans le sol, de milliers de litres d’huile pour le bon fonctionnement des machines. C’est loin d’être anodin.»
«On ne peut pas se contenter des quelques forages prévus par le promoteur, insiste Lionel Deisz. Il faut une véritable étude, indépendante, des sols pour connaître tous les risques.» Quant à Roman Hapka, il a du mal à comprendre comment un projet d’une telle ampleur, si proche et si impactant pour les Français, se fasse avec si peu de concertation entre les deux pays. Que tout semble opposer sur l’éolien: «Les autorités françaises ont fait le choix de n’avoir aucun parc éolien sur les crêtes du Jura français. En Suisse, nous faisons exactement le contraire…»

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