Patrimoine lausannoisAvant les burgers, le règne des coffres-forts
Le bâtiment de l’actuel Five Guys a connu maintes vies mais doit son allure à la Banque fédérale qui, il y a cent dix ans, s’est installée au numéro 17 de la place Saint-François.

Lorsque fin 2019, le fast-food Five Guys a trempé ses frites dans leur premier bain d’huile au numéro 17 de la place Saint-François, cela faisait belle lurette que le bâtiment lausannois n’avait plus de vocation figée. Un cinéma, des restaurants, dont Manora, et récemment Confo Déco s’y sont succédé. Historiquement, il faisait bel et bien partie intégrante de ce «quartier des banques», qui perdure encore aujourd’hui, et ce depuis cent cinquante ans à la place Saint-François.
C’est entre 1910 et 1911 que la Banque fédérale, une banque privée fondée à Berne en 1863, fait bâtir à cet emplacement son siège lausannois, rasant pour ce faire l’Hôtel du Grand-Pont. L’institut mandate un bureau d’architecte bien coté, celui d’Eugène Monod et d’Alphonse Laverrière (à qui l’on doit aussi la gare de Lausanne et, plus tard, la tour Bel-Air, entre autres). On devine que la tâche n’est pas aisée. La parcelle, qui fait l’angle avec la rue du Grand-Pont, est un quadrilatère un peu biscornu. Solution retenue: les deux longues façades sont séparées par deux pans étroits servant d’articulation, décrit l’historien de l’art Dave Lüthi*. «On voit qu’on a cherché à faire exister ce bâtiment, mais ce n’est pas facile. Encore aujourd’hui, personne ne sait à quoi il ressemble, personne ne l’a dans l’œil, car il n’est précisément pas tape-à-l’œil.»
Sobriété
Une décennie après la construction, non loin, de l’Hôtel des Postes et du siège de la BCV, tous deux monumentaux, la Banque fédérale démontre en effet que les goûts ont évolué. On n’y voit pas de colonnes néoantiques faisant penser à des temples grecs ou romains, typiques jusque-là d’une architecture bancaire convoquant sérénité et pérennité. «Il y a plus de sobriété, le bâtiment apparaît en son temps comme moderne», relève le spécialiste. Une convention est passée avec la Municipalité: la hauteur sous corniche sera portée à 18 m 60 moyennant que la façade donnant sur la place Saint-François soit reculée de 1 m 30, offrant un trottoir large de 3 mètres aux Lausannois, rapporte «La Tribune de Lausanne» le 29 décembre 1909.
«Encore aujourd’hui, personne n’a dans l’œil ce bâtiment, car il n’est précisément pas tape-à-l’œil.»
L’ordonnance «verticaliste» de l’immeuble à la toiture mansardée s’inspire de l’architecture commerciale germanique, en vogue à l’époque et dont les grands magasins Wertheim à Berlin sont d’éminents représentants. Au rez-de-chaussée, de grandes vitrines et un raffinement tout particulier dans le décor sculpté et les ferronneries d’art des portes principales, note Dave Lüthi. Aux étages, une alternance de pilastres décorés et de grands vitrages, «qui tendent à allonger le bâtiment». D’autres immeubles commerciaux tout proches, contemporains de la Banque fédérale, présentent la même conception. On peut citer à ce titre les galeries Saint-François, les Magasins Bonnard ou l’immeuble de la librairie Payot.
* «Architecture de poche (4). Lausanne, banques, bureaux et commerces»
Collectif sous la direction de David Ripoll et Gilles Prod’hom
Éd. SHAS, 241 p.
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