Patrimoine lausannoisAvant Moutarlier, les cercueils s’y vendaient comme des petits pains
La terrasse prisée des Lausannois à la Palud et son élégante façade bigarrée cachent l’histoire d’un entrepreneur de pompes funèbres qui y a laissé sa marque.

Les façades ont toujours quelque chose à raconter. C’est ce qui ressort des promenades architecturales proposées par les historiens de l’art de l’Unil, consacrées aux enseignes historiques de Lausanne. Et c’est ce qui ressort des deux hiboux, qui, comme des atlas, font office de porteurs surveillant la devanture du numéro 7 de la place de la Palud.
Le funeste oiseau nocturne, à l’œil menaçant, signalait à l’origine les Pompes funèbres générales, qui y resteront jusqu’à leur déménagement à la rue du Maupas en 1956, où elles sont toujours. La maison est alors celle d’un entrepreneur du nom de Gustave Genton. Fabricant de cercueils en tout genre, du plus modeste au plus luxueux capitonné.
Père de bonne famille, on devine derrière les successions de réclames dans «La Feuille d’Avis de Lausanne» qu’il s’agit de quelqu’un ayant la bosse du commerce. Il est déjà au Chalet de la gare du Flon en 1896, proposant une chambre mortuaire et des «prix très modérés.» Il cherche à s’étendre dans l’aviculture. Puis devient connu comme le propriétaire du corbillard de tous les faits divers d’alors. Il s’installe place de la Palud 17. Les affaires marchent suffisamment bien pour qu’il achète deux des étroites parcelles médiévales d’en face, le 6 puis le 7. En 1911, les deux sont réunies derrière une seule et même façade.

L’architecte sera Oscar Fossati, auteur d’une série de petites maisons dans les quartiers lausannois et de transformations au centre-ville. Il réalise par exemple une devanture qu’on repère tout de suite à sa figure barbue et ailée, rue Marterey 72. Pour réunir les deux parcelles de la Palud, il installe au rez une vaste vitrine composée de décors Art nouveau, déjà en vert à l’origine, le tout encadré par un arc et les fameux hiboux. Aux étages, des fenêtres plus sobres. Seul l’attique trahit les deux édifices d’origine. À l’est une lucarne assez massive, à gauche un pignon surmonté de trois fenêtres néogothiques. Le ton de la toiture est résolument Heimatstil, ce courant aux allures rurales et traditionnelles alors en vogue, tandis que les touches néomédiévales des fenêtres veulent intégrer l’édifice dans son quartier.

Un sacré mélange, qui trahit les efforts d’un petit entrepreneur dont la société dépassait désormais le stade du petit commerce familial. Une évolution comme en ont connu d’autres. La maison Genton s’associera par ailleurs avec le transporteur de cercueil Hessenmuller, rue Chaucrau, et avec la maison Chevallaz, place de la Louve, début 1916 déjà, pour former les Pompes funèbres générales.
* «Architecture de poche (4). Lausanne, banques, bureaux et commerces» Collectif sous la direction de David Ripoll et Gilles Prod’hom. Éd. SHAS, 241 p.
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