Production lyriqueAvec «Jenufa», une bouleversante tragédie rurale s’invite au Grand Théâtre
L’ouvrage qui consacra le compositeur Leos Janácek est à redécouvrir dans une nouvelle production genevoise.

C’est un sombre paysage qui se dessine à travers «Jenufa, et il nous place face à une secousse notable. Avec cette fresque rurale déployée en trois actes, on côtoie tout d’abord l’essor d’une nouvelle grammaire musicale, directe et saignante, bien éloignée des codes en vogue au début du XXe siècle. En 1905, encore inconnu du grand public, Leos Janácek signe un premier chef-d’œuvre, après en avoir labouré les partitions durant près d’une décennie. C’est là que son langage si particulier trouve une maturité et s’affiche sous des traits aujourd’hui immédiatement reconnaissables. Pour redécouvrir les accents de cette pépite, vingt ans et des poussières après sa dernière apparition à Genève, il ne faut pas manquer la production présentée dès le 3 mai au Grand Théâtre. La mise en scène est signée par Tatjana Gürbaca, la direction musicale assurée par Tomás Hanus.
Réalisme qui tenaille
À travers cette pièce majeure du répertoire européen, le compositeur tchèque – mort à Ostrava en 1928 – nous conduit vers un monde renouvelé, délesté de ce romantisme tardif en vogue en son temps. Loin des influences italiennes, françaises et allemandes qui dominent dans les théâtres lyriques, l’homme écrit au scalpel, dans un style qui allie franchise, voire brutalité du propos et finesse dramaturgique aux allants poétiques. Se dégage alors, de cette ligne sans concessions, un réalisme qui tenaille, une forme d’expressionnisme aussi, à peine atténuée par des mélodies faisant ici et là appel au folklore.
La trame du livret, elle, s’enracine dans un petit village de Moravie, au XIXe siècle. C’est ici que le destin du personnage principal se dessine, entre amours contrariées, jalousies et crimes irréparables. Jenufa attend en secret un enfant de Steva, séducteur invétéré et héritier du moulin du village, qui ignore l’état de son amante. Le demi-frère de celui-ci, Laca, est lui aussi amoureux de la jeune fille. À la découverte de la relation qui la lie à son rival, il s’empare d’un couteau et lacère le visage de celle qui le rejette. L’honneur perdu, les traits balafrés, la jeune mère a tout perdu d’un coup et se retrouve seule. C’est alors qu’intervient la puissante sacristine du village, Kostelnicka Buryjovka: elle tue le bébé et réussit, avec un mensonge qui cache son crime, à unir en mariage Laca et Jenufa. La meurtrière sera cependant découverte et ses aveux, accompagnés d’une sincère repentance, pousseront Jenufa à pardonner.
Au sein de la distribution, on trouve Corinne Winters dans le rôle-titre, Daniel Brenna dans celui de Laca, Ladislav Elgr en Steva et enfin, Evelyn Herlitzius en Kostelnicka.
«Jenufa», de Leos Janácek, Grand Théâtre, du 3 au 13 mai. Renseignements sur gtg.ch
Rocco Zacheo a rejoint la rédaction de la Tribune de Genève en 2013; il s'occupe de musique classique et d'opéra et se consacre, de manière ponctuelle, à l'actualité littéraire et à des événements culturels disparates. Auparavant, il a évolué pendant neuf ans au journal Le Temps et a collaboré avec la RTS La Première.
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