En Suisse, l’avortement est a priori interdit. Vous avez bien lu: la loi qui l’encadre est le Code pénal et il considère l’interruption de grossesse (IG) comme une «infraction sauf exception», dans le même chapitre que le meurtre ou l’agression. Les conditions de ces exceptions? Le médecin doit attester d’un danger grave pour la santé de la femme. Ou, jusqu’à 12 semaines de grossesse, la femme doit faire une demande écrite, invoquer une situation de détresse et suivre un entretien approfondi avec un médecin, qui est également menacé par ce même Code pénal. En résumé, la loi suisse met sous tutelle les femmes confrontées à une grossesse non voulue, traitant le droit de décider pour son propre corps dans un cadre pénal.
«Cette perspective centrée sur la pénalisation participe à la stigmatisation de cet acte médical»
Cette situation est le résultat d’un compromis datant de 2002, lorsque le parlement a enfin légiféré pour introduire ces exceptions, qu’on appelle aujourd’hui le régime du délai. Il prévaut donc depuis 20 ans et permet aux personnes voulant interrompre leur grossesse d’avoir accès à l’IG dans des conditions sanitaires sûres et remboursées. La population a très largement soutenu ce droit en 2002 (72,2% de oui au régime du délai) et en 2014 (69,8% de non à la radiation de l’IG de l’assurance maladie). Pour beaucoup, il est une évidence et une liberté fondamentale, une question de santé pour laquelle il faut faire confiance aux personnes concernées.
Pourtant, le fait de régir l’avortement par le Code pénal, en ne le considérant qu’en second lieu comme une question d’autodétermination ou une décision de santé, contredit cette évidence. D’abord, il est symboliquement dangereux et inacceptable, dans une société libérale, d’avoir une posture a priori restrictive face au droit de disposer de son corps. Ensuite, cette perspective centrée sur la pénalisation crée des obstacles à l’accès à l’IG. Elle participe à la stigmatisation de cet acte médical, ce qui pèse lourdement sur la santé mentale des personnes concernées. Elle les place aussi à la merci de praticiens opposés à l’avortement, qui utilisent les conditions de ces exceptions pour culpabiliser les patientes voire les induire en erreur.
Pour que le choix de devenir parent soit une décision personnelle prise sans pression étatique, pour que la liberté face à sa propre santé passe avant la morale, il faut sortir l’avortement du Code pénal. Ainsi, nous proposons de créer une loi spécifique à l’avortement, qui conserve le régime de délai mais qui soit d’abord centré sur la santé et l’autodétermination.
C’est la solution choisie par une part importante de pays européens. Cela figure aussi dans les directives de l’Organisation mondiale de la santé, 20 ans après l’adoption du régime du délai. Alors que le droit à l’avortement souffre d’attaques violentes aux États-Unis, la Suisse doit être du bon côté de l’histoire en garantissant la santé, l’autodétermination et la liberté.
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L’invitée – Avortement: ma santé, mon choix!
L’accès à l’intervention de grossesse est régi par le Code pénal. Une réalité qui contribue à stigmatiser cet acte médical et crée des obstacles pour y recourir, estime Léonore Porchet.