Cinéma asiatique«Balloon», des éleveurs de brebis au cœur de la politique de l’enfant unique
Ce très beau film de Pema Tseden révèle un cinéaste à découvrir toutes affaires cessantes.

Faites des enfants! Sauf qu’en Chine, la politique de l’enfant unique, mise en place de 1979 à 2015 par les autorités du pays pour contrer la surpopulation, met un frein à l’existence de familles nombreuses. Problème qui peut encore se ramifier dans certaines communautés tibétaines, où la contraception est un tabou.
C’est sous ce thème grave et rarement traité au cinéma que s’articule ce long métrage de Pema Tseden, «Balloon», titre qui fait référence à la forme de ballon que peut prendre un préservatif lorsqu’on souffle dedans, ce que font d’ailleurs deux des gosses du film.
«Balloon» se déroule au cœur d’une famille tibétaine, des parents, trois fils, des éleveurs de brebis qui cherchent notamment à faire en sorte que leur troupeau se reproduise. Mais la métaphore animale, peu pertinente, n’est heureusement pas brandie ici comme un prétexte à ce qu’on nous raconte.
Car sous ses dehors contemplatifs et dépaysants, avec ses plans attentifs sur les plaines désertiques, ses séquences dans une communauté coupée du monde et heureuse de sa position autarcique, le film assume un ton comique, voire cocasse, tout en demeurant constamment à la hauteur de ses personnages. On s’attache insensiblement à eux.
Arrestation abusive
Entre les préoccupations des parents, subsistance quotidienne, survie du troupeau, et volonté de ne pas avoir d’autres enfants, même si tout à coup, leurs préservatifs semblent avoir disparu, et les jeux des enfants, qui comme tous les gosses du monde trouvent moyen d’être ludiques avec tout, le film trouve rapidement son rythme et son équilibre. Jamais austère, souvent inventif, drôle, voire irrévérencieux, mis en scène avec élégance mais sans esthétique, «Balloon» est pourtant un film qui revient de loin.
Sélectionné l’an passé dans la section «Orizzonti» de la Mostra de Venise, primé par le jury des jeunes au FIFDH de Genève en 2019, il aurait pu ne jamais se faire. Car son réalisateur, Pema Tseden, avait été arrêté en juin 2016 à l’aéroport de Xining en raison d’un incident mineur avec la police locale sur une affaire de bagages. Une arrestation jugée abusive et qui provoqua un tollé du côté de la guilde des réalisateurs de cinéma de Chine tout comme sur les réseaux sociaux du pays et dans les médias internationaux.
Auteur déjà prolifique
Il sera finalement hospitalisé puis condamné à cinq jours de détention pour trouble à l’ordre public. L’ensemble demeure néanmoins flou et suffit à rappeler à quel point les cinéastes chinois peuvent être soumis à toutes sortes d’épreuves. Pema Tseden tourne tous ses films au Tibet. Avant «Balloon», il en avait déjà signé une douzaine et son «Tharlo» de 2015 (jamais sorti) passe pour un modèle et pour le film générationnel du Tibet d’aujourd’hui. À voir «Balloon», film coloré, optimiste et simple, on a en tout cas la furieuse envie de découvrir tout le reste. Instituteur, parfois écrivain, Pema Tseden a été honoré dans plusieurs festivals, dont celui de La Rochelle en 2012.
Il serait dommage de passer à côté de ce très beau petit film programmé depuis quelques jours aux cinémas du Grütli. Il mérite autant le détour que certains titres davantage médiatisés.
Balloon, Chine, 102’, *** Les Cinémas du Grütli
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