Dix ans de publications romandesBSN Press, la maison d’édition lausannoise qui monte
L’entreprise lancée en 2011 par Giuseppe Merrone s’est fait une place en publiant une foule de bons auteurs, du roman noir à l’éclectisme.

Dix ans. Cent livres. En une décennie, Giuseppe Merrone a amené BSN Press à une vitesse de croisière qui a grimpé à 20 titres annuels en 2019, avant que le Covid ne freine cette belle progression. Ce mois de mars 2021, l’éditeur lausannois avait prévu un robuste programme anniversaire autour de nouvelles parutions, conférences et dédicaces chez Payot à Lausanne.
De ce riche menu subsiste une belle mise en avant à la librairie de Pépinet, de la vitrine à la gondole centrale, encore jusqu’à la fin de cette semaine. L’occasion de revenir sur cette petite entreprise, qui a publié de nombreux auteurs romands émergents ou confirmés, entre autres Laure Mi Hyun Croset, Mélanie Chapuis, Marie-Christine Horn, Abigail Seran, Nicolas Verdan, Pierre Fankhauser, Edmond Vullioud, Antonio Albanese ou la regrettée Ariane Ferrier.
De Bangkok à Lausanne
BSN comme Bangkok Services Network. Lorsqu’il a lancé BSN Press, Giuseppe Merrone a gardé le nom d’une entreprise informatique qu’il avait cofondée et qui publiait déjà des livres, numériques ceux-là. L’acronyme dit bien l’éclectisme de son fondateur. Touche-à-tout rigoureux, il a toujours énormément lu, de la philosophie aux essais historiques en passant par la littérature.
Lorsqu’il évoque son audacieux pari de publier des livres en Suisse romande, il se garde cependant de discourir sur son amour pour les grands textes: «Je voulais devenir indépendant, et c’était dans l’édition qu’il me semblait avoir le plus de cartes à faire valoir. En tant qu’universitaire, j’avais l’habitude de lire et corriger des textes et j’avais une expérience éditoriale avec la revue «A contrario».
Après une carrière universitaire en sciences politiques à Lausanne, des études de maths à l’EPFL, sans compter un séjour d’un an au Japon pour étudier les économies asiatiques, le Lausannois se lance donc dans… le roman noir, un créneau inoccupé en Suisse romande: «On publiait du polar, mais des écrits ponctuels permettant d’évoquer une question particulière. Aucune maison n’avait une collection ouvertement polar, j’ai été un des premiers à l’aborder avec une ligne très structurée en le revendiquant.» Ceci après avoir lu tout ce qui s’est fait en Suisse dans le domaine depuis l’après-guerre.
«Raconter une histoire, tout le monde peut le faire, ce n’est pas ça qui compte pour moi, mais la manière de l’écrire, la critique sociale, la capacité à dire quelque chose sur le monde.»
Du noir (il préfère ce terme à celui de polar), mais pas n’importe lequel: «Raconter une histoire, tout le monde peut le faire, ce n’est pas ça qui compte pour moi, mais la manière de l’écrire, la critique sociale, la capacité à dire quelque chose sur le monde.»
Un Léman très noir
«Le banc» de Jean Chauma, ancien bandit français devenu écrivain, vient concrétiser cette volonté en 2011: «J’avais lu «Bras cassés», publié chez Antipodes, et j’y ai trouvé une vision nouvelle sur la notion de crime organisé, une voix de l’intérieur, car à part lui, dans les romanciers qui font du noir, personne n’a un passé criminel.»
C’est avec «Léman noir» que le frais éditeur se fait connaître: le volume réunit 20 nouvelles inédites d’auteurs romands sous la houlette de Marius Daniel Popescu. Autre jalon, «Permis C» (2016) de Joseph Incardona amorce un virage hors du noir en restituant en un récit intimiste et touchant l’enfance genevoise d’un fils d’immigré italien. Ce sera le premier livre BSN traduit en allemand, et le premier poche sorti en France.
Sport, théâtre et poésie
Dès lors, la maison ne cesse de se diversifier, jusqu’à la publication de textes de théâtre (autre domaine peu présent en Suisse romande) avec par exemple «Neil» de Benjamin Knobil (2020) ou de recueils poétiques, citons «Le cracheur de crayons» de Lucas Moreno (2019). Car, dans le polar, la vague commerciale a déferlé, et l’éditeur relève une situation différente de celle de ses débuts, avec «beaucoup de livres très formatés, où il n’y a aucun travail sur la langue, avec une surenchère dans la violence».
De cette envie de défricher de nouveaux terrains naît aussi la collection Uppercut, avec de courts romans ciselant un propos autour d’une discipline sportive: «C’est une manière de regarder le monde à travers le prisme du sport, qui est un phénomène social massif.» La collection embrasse tous les genres, et permet à l’éditeur d’accueillir des auteurs qui publient ailleurs, comme le remarquable «Giulia» de Claire Genoux, qui avait sorti peu avant «Lynx» chez José Corti. Dernier «Uppercut» frais paru, «Ring» du Genevois Florian Eglin boxe avec délices dans les arcanes de la politique genevoise.
Bientôt s’y ajoutera une collection d’essais à destination du grand public. Toujours avec cette ligne de conduite que le fondateur et seul employé évoque sans langue de bois: «Je m’intéresse un peu à tout et je fais en fonction de ce qui me semble des opportunités, car une maison d’édition est aussi une entreprise commerciale. Mais on ne fait pas ce métier pour devenir riche, je souhaite juste vivre dignement.» Ce qu’il ne relève pas, c’est la passion, le sérieux et la rigueur intellectuelle avec lesquels il mène sa barque.
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