Nous profitons d’un mois de mai très estival. La plage de Vidy est pleine de vie, s’y croisent des familles, des bandes d’ami·e·s, des spectateur·trice·s du théâtre, des baigneur·euse·s, des jeunes qui font la fête… Difficile de ne pas se réjouir de ce beau soleil.
Cette descente des Lausannois·e·s vers le lac les jours de forte chaleur me rappelle les scènes décrites par Charles Ferdinand Ramuz dans son livre «Présence de la mort», inspiré par la canicule de 1921: «On va se baigner au lac. La grande plage, si loin qu’on puisse voir, est toute brune de gens nus. […] La ville se vide tout entière, chaque après-midi, et on la voit descendre par tous les moyens qu’il y a, à pied, en tramway, en funiculaire, à bicyclette, vers la fraîcheur, vers le bien-être.»
Dans ce roman, d’une grande modernité, Ramuz imagine que «par un accident survenu dans le système de la gravitation, rapidement la terre retombe au soleil et tend à lui pour s’y refondre». La nouvelle arrive à Lausanne par la presse, mais personne n’y croit et chacun·e continue de vivre normalement malgré la canicule.
«Ça n’est pas pour nous, c’est trop grand», dit un personnage (ce qui n’est pas sans rappeler le scénario du récent film américain «Don’t Look Up, déni cosmique»… ). Mais face à la hausse inexorable des températures, l’ordre social se désagrège, la peur des autres et le repli sur soi surgissent et entraînent des disputes, des conflits, puis la guerre avant la fin inévitable.
«La jeunesse attend impatiemment des «adultes» des actes forts et responsables.»
La science du réchauffement climatique est connue depuis près d’un siècle et le grand danger que représente l’exploitation des énergies fossiles depuis la fin des années 50. Il y a eu les alertes du Club de Rome au début des années 70 sur les risques de la croissance pour l’environnement et les multiples alertes dans les six rapports d’évaluation du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) depuis 1990.
La professeure de l’Université de Lausanne, Julia Steinberger, coautrice du plus récent d’entre eux sorti le mois d’avril dernier, n’a de cesse de nous rappeler que nous ne sommes pas du tout sur la bonne trajectoire. Elle explique qu’il est absolument urgent et vital d’agir à tous les niveaux pour transformer nos formes de vie afin de cesser d’utiliser les combustibles fossiles au profit des énergies vertes et de consommer moins et mieux. Un monde vivable et désirable est encore possible si nous changeons vite, dit-elle.
Ces dernières années, la jeunesse a su mettre le climat au centre des débats en manifestant pour réclamer son droit à grandir dans un monde respirable, mais elle attend impatiemment des «adultes» des actes forts et responsables.
Malheureusement, les pouvoirs politiques et économiques résistent toujours à changer vraiment de direction, alors que la crise du Covid puis la guerre en Ukraine ont montré qu’ils sont capables de prendre des décisions rapides et fortes. Et qu’en est-il des opinions publiques quand on observe les résultats des dernières élections en Suisse ou en France?
La contribution des artistes
Il faut donc continuer à travailler pour changer nos pratiques et nos modes de vie, mais aussi à relayer la parole des scientifiques et à tirer des sonnettes d’alarme. Les artistes peuvent y contribuer de manière sensible et active avec leurs livres, leurs films, leurs spectacles, leurs installations, mais aussi en créant de nouvelles formes et dispositifs artistiques pour toucher autrement le public et partager de nouveaux imaginaires pour l’avenir.
Ramuz l’avait fait à sa façon il y a cent ans avec «Présence de la mort» au nom d’un amour de la vie, du vivant, de l’art et de l’existence.
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Carte blanche – «Ça n’est pas pour nous, c’est trop grand»?
Vincent Baudriller rappelle Ramuz et son évocation de la canicule dans son roman «Présence de la mort».