«Carnaval constituait une soupape avant le carême»
Dernière étape avant un jeûne de 40 jours, Mardi gras est un tournant important depuis le Moyen Âge. Retour sur les origines de ces festivités.

Encore quelques Suze en ce Mardi gras et les carnavaleux tomberont les masques. Les villes retrouveront le calme le temps de soigner une gueule de bois carabinée et de rattraper les heures de sommeil en retard. A Monthey comme à Bâle, Rio ou Venise, carnaval, c'est sacré. Il l'était bien avant l'arrivée des Guggen. Professeur de littérature médiévale à l'Université de Lausanne, Jean-Claude Mühlethaler conte cette passionnante épopée de folie.
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L'évêque, le prince et l'âne
Dur dur de dater avec exactitude le premier carnaval. «On estime que cette fête est un héritage des Saturnales romaines. Ces célébrations étaient un moment de licence et de festivité important. A certaines époques, le clergé a d'ailleurs combattu carnaval car il y voyait des résurgences païennes.» C'est pourtant au sein du clergé que naît le plus direct parent de notre carnaval moderne. «Les premières descriptions conséquentes de ces festivités remontent au XIIIe siècle. A l'époque, elles restent internes aux communautés religieuses. On parle de Fêtes des fous ou de Fêtes de l'Âne.»
Pendant quelques jours, on renverse la hiérarchie. On élit un évêque des fous ou un pape des ânes qui célèbre des messes profanes, et conclut ses sermons par un «hi-han», remplaçant l'amen de rigueur. Un peu comme Monthey élit son prince qui se voit confier les clés de la Ville? «Le parallèle me paraît clair. On inverse l'ordre établi. La figure de l'âne n'est d'ailleurs pas choisie au hasard. C'est l'animal modeste par excellence; celui sur lequel le Christ entre à Jérusalem. En remplaçant l'évêque, représentant du Christ, par cette bête, on marque un renversement total.»
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Le bestiaire des fous
L'animal est au centre des carnavals médiévaux. Une enluminure de 1318, l'une des plus anciennes traces iconographiques du carnavalesque, montre des personnages arborant des déguisements bestiaux ou démoniaques. «Ce faisant, on nie la nature humaine, on s'abandonne à la folie. C'est encore pire lorsque le personnage porte un masque: cela signifie que la tête, le siège même de la raison, cède à l'animalité.»
Personnages les fesses au vent ou le crâne rasé – «un signe de folie dans l'imagerie médiévale» –, arborant des costumes terrifiants, jouant une musique infernale sur des ustensiles de cuisine: l'image résume l'esprit insensé de ces jours-là. Mais de masque de personnalités, point de trace. Est-ce à dire que Donald Trump aurait été épargné au Moyen Âge? «Se grimer en président américain dénote d'une réalité récente: celle de la globalisation. Trump effraie même ici, car on dispose des moyens technologiques pour le connaître. Au XIVe siècle, on vit en petites communautés. Il n'est pas sûr qu'un simple paysan ou citadin puisse alors identifier tel ou tel ministre du roi…»
«Se déguiser en animal, c'est nier sa nature humaine. C'est pire quand on porte un masque: la tête, le siège de la raison, cède à la bestialité»
Pour le professeur, carnaval n'est historiquement pas le terreau d'une lutte des classes, comme certaines études marxistes l'ont parfois affirmé: «En Italie, alors organisé en villes autonomes et non en un vaste royaume, le ton était plus politisé. Et en France, il y a parfois dans les sotties des attaques voilées sous le masque de la folie mais malgré tout plutôt directes. Ce qui a conduit certains rois à faire interdire ces pièces licencieuses. Reste que les piques portent globalement sur les travers de la noblesse et des bourgeois et l'esprit plutôt bon enfant.» Il n'est d'ailleurs pas rare que de bons bourgeois aient été les organisateurs des carnavals.
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La viande avant le jeûne
Ces célébrations sont avant tout «une soupape». Carnaval: le mot viendrait d'ailleurs de carnem levare: «Littéralement, retirer la viande, traduit l'enseignant. Les festivités se terminent le jour de Mardi gras. On fait bombance avant d'entrer dans la période de carême.» Symbolisant le séjour du Christ dans le désert, ces 40 jours avant Pâques sont marqués par le jeûne. «Je crois que dans des siècles très rythmés par le calendrier liturgique, le peuple avait besoin de ces jours de distraction. Carnaval précède le temps de carême ou suit l'Avent, autre période de jeûne qui prépare le fidèle à Noël. Il faut aussi garder à l'esprit que les famines étaient fréquentes. Il était important que le pouvoir puisse payer pour nourrir la population à ce genre d'occasions.»
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Retour au village
«Globalisation». C'est ce qui distingue la société actuelle de celle du Moyen Âge. «La société était davantage organisée en petites communautés. Les grands temps festifs de l'année avaient notamment pour but d'en resserrer les liens. A mon avis, cette fonction retrouve son sens aujourd'hui. C'est peut-être moins vrai pour celui de Bâle qui attire beaucoup de touristes, mais le Carnaval de Monthey est un événement encore très identitaire qui permet aux habitants de se retrouver, à une époque où l'individualisme est toujours plus marqué.»
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