Architecture 1975-2000 «Ce sont des années de changements radicaux»
Bruno Marchand et Pauline Schroeter publient cette semaine «Architecture du canton de Vaud 1975-2000» et poursuivent ainsi l’élaboration du portrait du paysage bâti de ce coin de pays. Entretien.
Bruno Marchand frappe encore! Après «Architecture du canton de Vaud 1920-1975», en 2012, le professeur honoraire d’architecture de l’EPFL publie la suite, jusqu’à l’an 2000.
En collaboration avec Pauline Schroeter il nous emmène en voyage dans les terres et le paysage du canton en pointant ses réalisations les plus remarquables. Nouvelle, rénovée, agrandie, destinée au public ou privée, cette architecture d’ici apparaît spécifique et digne d’intérêt. Avec elle, ce sont aussi des générations de professionnels qui sont à l’honneur.
À la fois destiné aux professionnels, aux étudiants et aux autorités, l’ouvrage offre un kaléidoscope historique et inédit à toute personne qui s’intéresse au bâti du canton. De la «traversée du désert» des années 70, à la recherche de minimaliste des 90’s, en passant par les très lourdes années 80. Entretien avec Bruno Marchand.
Qu’ont-elles de si intéressant, ces années 70-90?
La fin des années 70 et les années 80 du postmodernisme surtout ont eu, très vite, mauvaise presse. L’exemple le plus emblématique est le Gymnase de Nyon, très décrié par une partie de la profession. On parlait de monumentalité absurde, de classicisme, de symétrie, d’excès de détail, de décor… Moi je trouve ces années très intéressantes. Elles témoignent d’un changement radical, de l’arrivée d’une multitude de questions et de réflexions nouvelles. Par exemple sur le patrimoine, l’énergie et, peut-être, le plus fortement, sur le retour de l’histoire. C’est aussi une période qui a une plus grande emprise territoriale: on décentralise hors des villes les réalisations architecturales. Toutes les communes se dotent de centres communaux, des collèges emblématiques sont bâtis, aussi. Ensuite, dès le début des années 90, on se lasse. Le retour à la simplicité s’impose et la monumentalité est mise de côté. La brique silico-calcaire fait place au bois, au béton.
Qu’est-ce qui a provoqué cette bascule?
Dès 1973, l’enseignement de l’architecture à Lausanne s’ouvre aux architectes invités internationaux, une pratique très prisée aux États-Unis. Cela sort l’Université de son provincialisme et fait exploser la venue de personnalités très renommées, en faisant d’excellents choix. Cela donne lieu à un enseignement plus éclectique produisant des étudiants qui arrivent sur le marché durant les années 1980. Précisons que les invités n’étaient pas du tout des postmodernistes! Dans les années 90, c’est la crise économique qui pousse à l’élaboration de choses beaucoup plus simples.

Vous vous arrêtez en 2000. Le signe qu’une nouvelle ère a commencé ensuite?
Oh oui! En 1997, l’ouverture aux marchés publics change tout! C’est une chance incroyable pour les architectes. Dans le domaine du logement, avec les coopératives, cela permettra vraiment un saut qualitatif, très inspiré par Zurich.
Vous parlez de Zurich. Le canton de Vaud a-t-il été hermétique à la Suisse allemande?
Clairement et inversement. Toute la modernité de la Suisse romande, liée notamment aux grands ensembles bâtis et à la préfabrication, n’a pas tellement eu cours là-bas. Le retour à l’histoire des années 80 non plus. L’école d’architecture lausannoise, fondée en 1942, a largement été dominée par les Beaux-Arts. À Zurich, l’école fondée à la fin du XIXe siècle, pas du tout.

Vous faites une place dans votre ouvrage aux rénovations particulièrement réussies. Pourquoi cela vous a-t-il autant étonné?
Avant les années 70, on ne rénovait que très peu. Quand la nécessité de rénover est apparue, beaucoup d’architectes étaient perdus! Et ils ont développé immédiatement une attitude très respectueuse avec des interventions fines et de grande qualité. Les Bains de Bellerive, l’abbaye de Bonmont à Chéserex, la Villa Kenwin à La Tour-de-Peilz sont d’excellents exemples. Et oui, je dirais que cette aptitude à la restauration est assez innée dans le tempérament des architectes vaudois. La politique des cures est aussi emblématique. Cela a évidemment été aidé par l’importance croissante du patrimoine.

Vous consacrez aussi un chapitre aux espaces publics…
La notion moderne d’espace public apparaît dans les années 1960. Mais deux villes influencent très fortement le développement de cette réflexion: Barcelone qui se lance dans une immense rénovation de son centre historique et Lyon, juste après. Cela va beaucoup inspirer les Suisses, notamment pour aménager les espaces au-dessus des parkings souterrains. J’étais à cette époque actif à l’aménagement du territoire du canton de Vaud et nous avons mis sur pied le Prix de l’espace public. Et pas que pour les villes! C’est aussi la grande époque des places du village et de la réfection des routes de traversées de localités. Alors qu’à Lausanne, les projets typiques sont la place de la Navigation et celle de la Gare.

Comment imaginez-vous le futur de votre discipline?
Écologique, c’est absolument certain. Numérique, aussi. Les villes vont changer très très rapidement. Les formes, les matériaux, tout. Le bois revient en force, d’ailleurs son prix grimpe énormément en ce moment. La réflexion aussi va changer. L’autre jour, j’évaluais un projet et j’ai signalé que le bâtiment faisait de l’ombre sur la rue. J’ai été à l’école de ceux pour qui c’était à éviter absolument. On m’a répondu: c’est génial, ça créera de la fraîcheur!
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