La Suisse n’est pas le pays des montres et du chocolat mais celui du ciment. On peut penser que la Suisse moderne s’est construite à la sueur du front de nos aïeux, c’est plus joli, mais, en vrai, nous sommes plus les enfants des fourneaux des cimenteries. Nos barrages? Nos abris antiatomiques qui servent de caves à vin? Les immeubles, les usines de Payerne, les centres commerciaux de Crissier, les viaducs de l’A9 et la terrasse de grand-maman avec vue sur le lac? Le pôle muséal lausannois, le M2? Du ciment et encore du ciment.
Les Suisses en ont été les plus grands consommateurs au monde dans les années 70 et restent aujourd’hui un des plus grands mangeurs de ciment d’Europe. En 2017, par habitant, on en utilisait 584 kilos, soit à peu près le double qu’en France.
C’est pour ça que nous sommes allés nous promener au Mormont.
24 heures publie aujourd’hui le premier volet de sa série consacrée à cette colline située au cœur du canton de Vaud, grignotée par l’une des plus grandes carrières de Suisse depuis maintenant près de septante ans. À force de passer à côté, ce trou béant a fini par faire partie du paysage pour les gens du coin ou pour les pendulaires. Les plus casaniers d’entre nous l’auront même oubliée, parce que c’est loin, Éclépens, ou aussi parce que c’est aussi discret qu’efficace, un cimentier.
Il aura fallu une poignée de zadistes habillés en vieilles vestes polaires fluos, pour nous rappeler que si on ne compte plus les multinationales vaudoises dont les fabriques ont été délocalisées outre-mer, nous avons su en garder une. Et pas n’importe laquelle.
Pour la politique vaudoise des carrières et pour le lobby du ciment, Éclépens, c’est assumer nos responsabilités et maintenir proche des chantiers le calcaire et les clinkers. C’est vrai. Mais c’est aussi un coût: la destruction d’un écosystème, des bringues sans fin dans les villages, un paysage modifié sans doute à jamais et des enjeux économiques astronomiques.
Rien qu’en 2019, plus de 4,6 milliards de francs devaient être injectés, dans le canton de Vaud, dans les nouvelles constructions et les travaux. C’était une petite année.
Maintenant que tout ou presque est de nouveau chamboulé, y compris l’immobilier, il serait peut-être temps de s’interroger sur notre passion pour le béton. Un peu comme si, assis sur la terrasse de ciment de grand-maman qui donne sur le lac, on se retournait pour aller regarder ce qui se passe au Mormont.

Rubrique Vaud & Régions
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
L’éditorial – C’est pourtant le cœur du Pays de Vaud