Théâtre«Cette pièce m'a fait du bien par son côté cathartique»
Au TKM, le metteur en scène Cédric Dorier crée «Le roi se meurt» d'Ionesco, oeuvre-testament mi-caustique mi-tragique axée sur la finitude de l'être humain. Interview.

Comme pour conjurer le sort, Eugène Ionesco écrit frénétiquement «Le roi se meurt» en deux semaines à peine. Nous sommes en 1962, l'homme de théâtre de 58 ans vient de réchapper d'une grave maladie et des ombres mortifères virevoltent autour de sa plume. La fable ne ménage aucun suspense. «Sire, on doit vous annoncer que vous allez mourir», lui souffle la reine Marguerite au début de la pièce. C'est cette urgence d'appréhender la finitude de l'être humain que le metteur en scène vaudois Cédric Dorier cherche à sublimer sur scène dans sa nouvelle création. Du 29 octobre au 17 novembre, le vieux roi Bérenger Ier expirera sur les planches du TKM, à Renens.
Comment votre choix s'est-il porté sur Ionesco?
Après la reprise de «Frères ennemis» (ndlr: sa mise en scène de «La Thébaïde», de Racine) au TKM en 2018, Omar Porras m'a proposé de créer un spectacle ici. Je suis arrivé avec ma petite valise remplie de propositions. On a dialogué, il m'a aussi suggéré des textes, et finalement je suis arrivé avec Ionesco. J'avais travaillé sur cet auteur en tant qu'interprète dans un spectacle mis en scène par Richard Vachoux, il m'était donc resté dans un coin de la tête.
Vous n'avez pas choisi l'une de ses pièces les plus connues. Pourquoi?
J'ai relu «Le roi se meurt» et j'ai beaucoup ri! Et j'ai redécouvert des répliques dont l'articulation produit un effet à la fois drôle, philosophique et insolite.
Insolite?
Ionesco ne parlait pas de son œuvre comme du «théâtre de l'absurde», mais «de l'insolite». Je trouve ce terme plus poétique et plus élégant. Plus subtil, aussi. L'auteur parvient à alterner le tragique, le comique, le burlesque et le parodique, et en tire une pièce de contrastes. Il utilise le décalage pour appréhender l'angoisse humaine face à la mort, sous les angles à la fois intime et universel. Dans la pièce, le personnage du roi Bérenger Ier cristallise ces deux axes: individuel, en partageant sa peur existentielle de mourir, et collectif, car les personnages qui gravitent autour de lui sont pris dans cette angoisse.
Vous parlez d'«intime». Ce texte vous touche-t-il personnellement?
Oui, le choix de cette pièce vient aussi du fait que j'ai perdu mes grands-parents. Mon grand-père s'est éteint comme une petite bougie, à 96 ans. Et ma grand-mère, qui était une grande battante, a vécu une fin douloureuse. Ce texte m'a fait du bien par son côté cathartique.
«C'est un texte visionnaire, car il parle de l'écroulement du monde face à l'égocentrisme de l'être humain»
En quoi «Le roi se meurt» a-t-il des résonances actuelles?
C'est un texte visionnaire, car il parle de l'écroulement du monde face à l'égocentrisme de l'être humain. Tout à coup, vous lisez une réplique et vous vous dites: «Ça parle de maintenant!» La pièce explore la notion de trace qu'on laisse derrière soi. Aujourd'hui, la question est celle des traces qu'on laisse sur notre planète. C'est un texte philosophique, car il ouvre le sens, trace des pistes mais ne donne ni leçons ni réponses. C'est en cela que cette œuvre est puissante: elle rend le spectateur actif.
Comment avez-vous imaginé la mise en espace de la fable?
Ionesco a fait de cette pièce une cérémonie ritualisée. Dès le départ, j'avais dans l'idée de créer un vrai décor, d'assumer la théâtralité de la pièce. Nous avons imaginé une plaque circulaire entourée de murs, symbolisant à la fois le royaume, une couronne, un labyrinthe, la roue du temps, une machine infernale. J'aime les décors qui racontent plusieurs choses en même temps. La scénographie figure aussi une mise en abyme de la représentation. Ionesco se joue de ses codes théâtraux, il casse très vite l'illusion de la fiction, brise le quatrième mur en faisant interagir ses personnages avec le public.
Le moteur de vos créations ne part-il pas avant tout d'un texte admiré?
Absolument. Je suis toujours à la recherche de textes qui m'interpellent par leur actualité. Je suis admiratif devant un auteur qui crée son régime d'écriture et qui, par là, transmet son rapport au monde. J'aime me mettre au service d'un écrivain et me placer dans une attitude d'humilité face à lui. En tant que metteur en scène, mon défi sera de mettre en lumière une vision de l'œuvre, subjective bien sûr, mais qui soit cohérente dans le sens et dans l'émotion.
Quel est votre rapport à la langue, dans les pièces que vous montez?
J'aime tout particulièrement les textes écrits dans une langue affirmée, ciselée, tonique, avec une structure soit référencée, soit codifiée. C'est le cas de Racine, Lagarce ou Koffi Kwahulé, dont j'ai monté «Misterioso 119». Je suis convaincu que la parole, le langage sont primordiaux pour appréhender le monde.
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