Hommage à un philosophe ami des oiseauxChristian Bobin s’en est allé dans d’autres régions du ciel
Le poète a rejoint jeudi son ami Pierre Soulages, fondu au noir comme l’artiste, dans un lumineux sillage. Il avait 71 ans.

Christian Bobin a rejoint son ami Pierre Soulages, fondu au noir comme l’artiste, dans un lumineux sillage. Le philosophe, essayiste, poète surtout, s’est éteint à l’âge de 71 ans. Il y a quelques semaines, cet artisan de best-sellers involontaires semait des œuvres choisies à tout vent. Le volume imposant des «Différentes régions du ciel» était flanqué d’un mince opus, «Le muguet rouge», sur cette fleur rare du Jura qui parfume les omelettes comme jamais. Sa voix tintinnabule encore: «Moi, écrivain? Allons… Ce serait obscène de le prétendre.»
La mort, il la fréquentait avec assiduité, lui écrivait comme à une amie nécessaire. «Vers la mort, très chère, nous allons. Tous. En dansant ou en boitant, en riant ou en geignant, peu importe, puisque c’est là que nous allons», note-t-il dans «La femme à venir». Des phrases comme ça, chez Christian Bobin, jaillissent avec une euphorie contagieuse.
«Chez moi, la souffrance écrit rose»
«Chez moi, la souffrance écrit rose», nous confiait-il il y a trois ans, à l’occasion d’un puissant Cahier de l’Herne.Et tant pis si les esprits moqueurs lui trouvaient parfois des boursouflures de vertu lénifiante. Lui aimait trop les blanches colombes pour s’en hérisser les plumes. À vrai dire, cet homme semblait tombé du ciel. «Mais je suis réellement passionné par les vivants, riait-il dans son jardin à l’écart du monde, dans le Creusot. Autant que par le lent passage des nuages dans le ciel, la conversation des hortensias dans la cour de cette maison où je suis né, ou l’extraordinaire courage du brin d’herbe face à un vent noir.»
«J’espère arracher du sens au flux du temps, aux ténèbres qui nous sont promises.»
À discuter avec cet émule de saint François d’Assise, les heures, les minutes prenaient valeur d’éternité. «J’espère arracher du sens au flux du temps, aux ténèbres qui nous sont promises. Écrire, c’est soulever légèrement ce que je vois, comme pour maintenir la tête hors de l’eau. J’essaie d’emmener ce qui est en danger de se perdre dans la vie courante, ce qui n’était pas vu, reconnu, dans la lumière du verbe.»
Du sacré émane de ses livres dégagés pourtant d’auréole religieuse. «Ou alors, ironise sa biographe Claire Tiévant, Christian Bobin est taoïste, chrétien, juif, musulman, athée». Dieu seul le sait.
«Les différentes régions du ciel»
Christian Bobin
Éd. Quarto.
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