Par ces mornes jours d’hiver, je peux toujours compter sur mon chien pour me divertir un peu. Hier soir, par exemple, à l’heure du dodo, il s’est mis à gratter frénétiquement sa couche, grognant et tournant sur lui-même comme un possédé. Il est marrant, il fait ça souvent. Héritage lupin, explique la science: il tiendrait ce comportement de ses cousins sauvages, qui, avant de s’endormir à même l’humus des forêts, éjectent ainsi de leur lit vermines et nuisibles, tout en se fouissant un petit creux bien frais. Au 6e étage de mon immeuble au centre-ville, sur le tissu chiné de son pauvre panier Cats & Dogs, les loups et les grands espaces sont bien loin. Mais le chien s’en fout et s’endort, bienheureux, dans la minute. Comme si de rien.
Pauvre bête, tributaire de ses pulsions périmées. Dimanche, pour se divertir, il y aura mieux: la finale de la Coupe du monde! Grosses audiences TV autour de la planète, beaux sourires de ces beaux messieurs de la FIFA, fête aux klaxons dans les rues de Paris ou de Buenos Aires. Finalement, cette affaire de stades gigantesques sortis de terre à deux pas les uns des autres, est-ce que ça nécessitait vraiment de crier au désastre écologique? Et ces soi-disant esclaves se tuant à la tâche pour les construire, y avait-il besoin d’en faire un tel fromage? Il y a eu plein de buts, les compagnies aériennes et les marques de boissons sucrées ont pu mettre leurs publicités partout, la fête du foot a été belle, tout est en ordre.
Le dimanche suivant, pour se divertir, il y aura encore mieux: Noël! Vous savez, cette fête où, pour célébrer les origines modestes de notre culture judéo-chrétienne, se rappeler la fragile beauté de la condition humaine, flammèche chancelante dans la nuit de l’hiver entre le bœuf et l’âne gris, on fait venir de Chine par porte-conteneurs des tonnes de choses dont on n’a pas besoin, avant de se les offrir en se faisant exploser la panse. On se dit qu’il faudrait changer nos façons de faire, viser un peu plus de sobriété parce que la planète morfle, mais c’est plus fort que nous, on aime bien faire comme on a toujours fait. Comme si de rien.
Tu t’en fous, toi, le chien, hein, tu dors et tu rêves que tu cours avec les loups. Heureusement que ma rationalité d’humain me préserve de mes instincts obsolètes. Bonne nuit le chien.
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Grain de sable – Comme si de rien