Regarder le CHUV autrementComment l’art pousse à l’hôpital
Sous sa nouvelle étiquette de VU.CH, l’art au CHUV essaime au loin grâce à la vision fédératrice et enthousiaste de Karine Tissot.

Avec ses 13’000 employés, ses 7000 visiteurs quotidiens et ses 50’000 patients par année, le CHUV est une vraie petite ville. Avec, en ses murs, toute une population humaine aux missions, humeurs, sentiments et buts différents. Ils n’ont en fait en commun que l’obligation d’être là, pour un temps plus ou moins long, avec peu d’emprise sur la durée. Qu’ils viennent soigner des blessés ou des malades, remplir des formulaires, des paumes de mains trop seules ou des estomacs, donner la vie ou un coup de balai, ou alors qu’ils y soient entrés comme patients ou proches de patients, aucun d’entre eux n’est venu spécifiquement pour découvrir sa collection d’art.
En trouvant l’anagramme VU.CH, la curatrice et historienne de l’art Karine Tissot, chargée de l’énorme programme de l’art à l’hôpital, invite tout un chacun à regarder le CHUV autrement, c’est-à-dire à l’envers. L’ensemble hospitalier compte au total 127 bâtiments, et donc autant d’espaces à occuper, à rassembler, aussi, par le biais d’expositions aux résonances multiples. Une approche que Karine Tissot a tissée autour de deux mots forts de sens: fédérer et essaimer.

«Le CHUV regorge de personnes très engagées pour la culture, que ce soit dans les soins ou en dehors.»
«Pour moi, fédérer ce qui a été fait depuis vingt-neuf ans – c’est-à-dire rassembler une impressionnante collection d’art contemporain et l’exposer dans le hall d’entrée d’un lieu dont la culture n’est pas la priorité – sous un même nom sur un site internet qui doit encore être enrichi est essentiel, explique avec enthousiasme la responsable de la culture à l’hôpital. Mais il faut aussi y ajouter une multitude de projets moins visibles, en rapport avec l’art, comme celui de ce radiologue passionné de géologie qui a fait photographier ses pièces favorites à Rumine pour ensuite les exposer dans son service. Le CHUV regorge de personnes très engagées pour la culture, que ce soit dans les soins ou en dehors.»
Trois espaces principaux
Avant d’essaimer, Karine Tissot a biné ses plates-bandes. En commençant par les trois principales: l’Espace CHUV, soit le monumental hall d’entrée, dont elle a fait lisser le mur, changé l’éclairage et où elle a créé un trottoir; l’Espace Cery, transformé lui aussi pour pouvoir dédier 200 m2 à des expositions, et enfin l’Espace Mercerie, «un lieu moins connu, situé en face de la crêperie, dont nous aimerions faire un lieu de rencontre quand la situation sanitaire nous le permettra.»

En attendant, les rencontres se font fortuitement, tous les jours, plusieurs fois par jour, au détour d’un couloir. Une œuvre attire le regard, interroge ou alors simplement contribue à occuper une attente, à distraire, à apaiser une angoisse. «Si, depuis les chambres du CHUV, la vue est souvent absolument superbe, les couloirs comme le hall d’entrée n’offrent aucune perspective, reconnaît Karine Tissot. L’art à l’hôpital a aussi pour mission de créer des percées, des stimuli. On demande souvent aux patients d’aller monter quelques marches dans l’escalier central. Alors offrons-leur une perspective de rencontre en haut de ces marches.»
«Simplement donner à la personne, qu’elle soit en train de travailler, de rendre visite à quelqu’un ou juste d’attendre, l’occasion d’apprendre, de s’évader.»
La passionnée d’art contemporain ne sait que trop bien que son public n’a pas demandé à être là. C’est par tout un travail d’écriture qu’elle a décidé de capter l’intérêt de tout un chacun. Ainsi les œuvres ne sont pas accompagnées d’étiquettes minimalistes avec un titre, un nom d’artiste et une date, mais bien de textes signés des jolies plumes des spécialistes que sont Caroline Briner, Françoise Jaunin et Florence Millioud Henriques. «Il fallait trouver le bon ton, insiste la chargée de programme. Je ne voulais ni d’une critique de l’œuvre ni d’une explication scientifique, et encore moins d’une description terre à terre. Simplement donner à la personne, qu’elle soit en train de travailler, de rendre visite à quelqu’un ou juste d’attendre, l’occasion d’apprendre, de s’évader.»
Objets médico-sanitaires
Si le bâtiment principal est celui qui est le plus visité, l’approche est la même à l’Hôtel des Patients, à Cery ou ailleurs. Et plus Karine Tissot aura le temps de cerner la variété des respirations culturelles hospitalières, plus les idées de dialogue germeront dans son esprit. «Nous avons beaucoup parlé d’art contemporain, mais toute une partie de notre collection est faite d’objets médico-sanitaires. Et que dire des murs de l’hôpital orthopédique, qui racontent l’histoire de la discipline dans le canton comme un livre ouvert!»
L’exposition actuelle (lire encadré), qui s’étend sur sept sites, ne s’appelle pas «En herbier» par hasard. Telle une cueilleuse passionnée, Karine Tissot se promène dans les multiples recoins pour cueillir, recueillir l’art, pour le présenter autrement, précieusement, afin de susciter l’intérêt, la curiosité ou l’émerveillement. Et elle n’est pas près de s’arrêter.
Thérèse Courvoisier est rédactrice à la rubrique culture & magazine de 24 heures. Après presque 20 ans dans le journalisme sportif, elle se spécialise dans les portraits et sujets société.
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