Conteur cruel de la jeunesse
Historien du punk, sociologue du «teenager», fan indécrottable de musiques malpolies, Jon Savage étale sa science mardi à Lausanne. À coups de canif

«De toute façon, les kids font ce qu'ils veulent.» Le flegme anglais couplé à une connexion téléphonique métallique rend plus froide encore la conviction de Jon Savage. Depuis qu'il fut kid lui-même, le journaliste de 65 ans n'a cessé de scruter, analyser, décortiquer, secouer la jeunesse, l'embrassant comme un sujet d'étude et de fascination mêlées. Des poètes parnassiens aux zazous des caves, des beatniks aux punks jusqu'à la génération numérique, c'est la même fureur juvénile qui rugit et s'enivre – seul change le flacon. Ce mardi, à l'initiative de la haute école de musique de Lausanne (HEMU), l'Anglais décapsule sa cuvée personnelle sur la scène du Romandie. Il vient en maître de conférences ès rébellions brassant au pupitre ses expériences de journaliste, fan, écrivain, historien, sociologue. «Mais pas de donneur de leçons. Je n'affirmerais jamais: «c'était mieux avant». Cela dit, gamin, je ne serais pas venu écouter un mec comme moi.»
Quand la jeunesse vieillit, elle peut devenir Jon Savage. On suppose pourtant qu'il a hurlé «no future!» dans le public des Sex Pistols, dont il fréquenta les premières mises à sac londoniennes fin 1975, quand le mot «punk» était encore un sésame pour initiés loin de la future carte postale iroquoise pour touristes sur Picadilly Circus. Embarqué dans cette révolution musicale, il n'a pas dû chercher longtemps son pseudo – l'avantage d'être né Jonathan Malcolm Sage: deux lettres de plus suffisent à transformer l'agneau en loup. Déjà vieux (24 ans!) lorsque les Pistols, Clash et Slits firent trembler la Couronne à coups de glaviots, Jon Savage affirma vite sa fibre de documentaliste in situ. En 1976, son fanzine «London's Outrage» devient l'équivalent briton du «Punk!» américain et tente de mettre des mots sur des notes, des cris et des slogans – et sur un Zeitgeist qui trouvera son objectivation, comme souvent, dans son encadrement économique et la valorisation de ses acteurs, quand les premiers disques diront ce dont punk était alors le nom. Quatorze ans plus tard, Savage écrira l'anthologie définitive du mouvement, de ses origines et de ses effets, dans un «England's Dreaming» aux multiples honneurs et rééditions.
«Le punk était une réponse aux problèmes de l'Angleterre il y a 40 ans – un autre monde, dit-il. Les jeunes voulaient casser les règles de la société «adulte», agissant en pure réaction. L'immense différence avec 2019, c'est que la jeunesse a empoigné les rênes de sa propre détermination, en naissant et grandissant en même temps qu'internet. Jamais la technologie n'a été à ce point maîtrisée par les jeunes. Ce sont eux qui fixent les codes, ce sont les vieux qui sont largués.»
Après avoir vécu le punk, Savage a poussé plus loin son étude des étincelles antisystème, pointant le curseur sur l'année 1966 ( lire encadré) puis, dans «Teenage: The Creation of Youth Culture», sur le concept de «teenager» qu'il déploie hors de sa coutumière acception économiste (en gros, une notion inventée par le marketing américain des fifties pour vendre des jeans et des chewing-gums). Comme ses livres, les causeries de Jon Savage passent de Rimbaud à Patti Smith, de Goethe à Johnny Rotten, semant des épingles à nourrice comme des cailloux sur la route de l'histoire récente. On n'est pas obligé de le croire, mais on ne s'ennuie pas à l'écouter.
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Lausanne, Le Romandie Ma 5 mars (portes 17 h 30, conf. 18 h-20 h). Conférence en anglais, assise. Entrée libre www.leromandie.ch
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