Conversation entre rhinocéros
L'art et la science conjuguent leurs savoirs et leurs sensibilités au Musée cantonal de zoologie à Lausanne dans une exposition autour d'un fantasme bestial. Captivant!

Dürer l'a gravé, chimérique, en 1515 avec des écailles, une carapace et des poils. Dalí l'a habillé de dentelles, il l'a aussi vu cosmique affublé d'une corne dorée et de pattes de mouches et Warhol l'a saisi de face en volumineuse charge polychrome. Des fresquistes de la grotte de Chauvet au copié-collé de la nature couleur rouge voiture de Xavier Veilhan, tous ont souligné la toute-puissance bestiale du rhinocéros.
Mais il y a aussi… Gaston Dufour (1920-1966), dit Gasduf ou Gaston Duf! Un regard autre, décomplexé. Une autre fascination, virginale. «Rhinocéros-féroce», la nouvelle exposition du Musée cantonal de zoologie, est allé les chercher dans les marges de l'art avec la complicité de Lucienne Peiry, ancienne conservatrice de la Collection de l'art brut, à Lausanne. «Pendant six ans, il n'a dessiné que des rhinocéros réinventant sans cesse la morphologie de base. Pourquoi cette influence? La meilleure façon de comprendre cet attrait et parfois cet effroi qu'il ressent n'était autre que de les confronter à la bête.»
Le noir et le blanc
Fabuleuse, éclatante, obsessionnelle, la bonne surprise du mélange des genres prend entre les bestiaires taxidermisés de l'institution, la boîte de Pandore ouverte – physiquement et symboliquement – sur des œuvres peu montrées, toutes prêtées par la Collection de l'art brut comme sur les liens entre la science, l'art, la perception, la connaissance. À chacun ses questionnements! Entre les deux battants… une charge, celle du rhinocéros blanc saisi en pleine course et juste derrière, le rhinocéros noir.
Si le premier a été acquis en 1989 lors de la vente d'un musée privé en Angleterre, le second a été tiré en 1937 à la demande du musée pour ses visiteurs avec la Société vaudoise des sciences naturelles dans le rôle du sponsor. «La donne, l'époque, tout était différent, pointe le conservateur Olivier Glaizot. Il faut plutôt se réjouir que cela ne se fasse plus pour ces raisons.» Il y en a d'autres, le Musée de zoologie vient de se protéger contre les vols lors de la restauration de ses deux spécimens, les cornes ont été remplacées par des éléments en résine polyester. Et le Botswana, terre d'accueil d'une espèce menacée, annonçait mercredi un chiffre record de 9 rhinocéros braconnés ces sept derniers mois.
Gaston Dufour, lui, n'en a semble-t-il jamais vu, si ce n'est lorsque dans sa première vie, il courait les cinémas. Gosse de la France minière, né dans une famille de dix enfants plombée par la violence paternelle, en errance sociale au moment d'entrer dans la vie active, il est interné à l'âge de 20 ans dans la foulée d'une tentative de suicide. «Ses premiers rhinocéros sont nés dans la clandestinité, c'est une infirmière qui a remarqué qu'il dissimulait des dessins dans ses poches et dans la doublure de sa veste. Un peu, poursuit Lucienne Peiry, comme s'il s'agissait d'une seconde peau. Une protection.»
Les premières prises du chasseur opérant dans le secret de sa chambre sont en noir et blanc. Des petits formats. Mais la forme est là, déjà volubile, ornementale, presque végétale. Le troupeau se densifie dans les six années qui suivent, l'esprit à la métamorphose permanente. L'anatomie éclate, les protubérances se multiplient, les couleurs composent: on dirait presque des chimères. «Un rhinocéros […] c'est gros, c'est massif, c'est dur, c'est fort,… disait-il. Moi, je suis faible… je suis mou.»
Cet article a été automatiquement importé de notre ancien système de gestion de contenu vers notre nouveau site web. Il est possible qu'il comporte quelques erreurs de mise en page. Veuillez nous signaler toute erreur à community-feedback@tamedia.ch. Nous vous remercions de votre compréhension et votre collaboration.