Churchill a dit quelque chose comme «Quand vous vous trompez, c’est souvent que vous n’avez pas assez considéré l’histoire». Ce sage conseil pourrait s’avérer insuffisant; je fais référence aux Réflexions parues dans «24 heures» le 19 janvier, sur le progrès, danger ou solution pour la planète et son climat, de D. Dirlewanger et O. Meuwly.
Ce dernier, pour qui j’ai de l’estime, craint que les appels à la sobriété ne mettent en cause les acquis civilisationnels des deux derniers siècles. Il demande si la croissance peut être remplacée comme horizon de l’humanité (le seul vrai?) Je crains que le propos, tout élégant qu’il est, ne soit marqué par un court-termisme qui contribue à nous laisser somnoler. Grosso modo dans l’idée que «des crises, il y a en a eu beaucoup dans le passé récent, le libéralisme finalement a su tout arranger.» Et vive la technologie!
«L’utilisation massive des combustibles fossiles a complètement déséquilibré l’écosystème en place depuis des millions d’années!»
Je suis frappé de voir comment tant de nos contemporains refusent de tenir compte ce que nous savons de multiples sources sûres: en un siècle, l’utilisation massive des combustibles fossiles, qui a permis tant de merveilles liées au système (néo-)libéral, a complètement déséquilibré l’écosystème en place depuis des millions d’années! Il vaut la peine de prendre quelques minutes pour s’intéresser sur internet à «la grande accélération», si manifeste depuis les années 1950. Comment peut-on banaliser ces évolutions exponentielles, survenues en un «clin d’œil géologique»?
Nous vivons la fin de la modernité issue des succès du modèle libéral, dit le philosophe des sciences Bruno Latour (malheureusement beaucoup moins reconnu dans son propre pays que par les Anglo-Saxons). Selon lui, nous sommes engagés dans une glissade accélérée, «l’emballement», vers l’irréversibilité. De l’avis général - voir la dernière COP de Charm el-Cheikh -, il ne peut déjà plus être question de revenir à l’équilibre antérieur. Pourtant les inconditionnels du progrès à l’ancienne restent confiants: le système et son dynamisme soulageront, voire résoudront, les drames à venir. Or, si la technologie nous aidera certainement, elle ne pourra de loin pas tout.
Certains prennent des risques
Je dis ici mon respect, mon admiration même, pour les académiques de haut vol qui, comme la prof. Julia Steinberger de l’UNIL, s’emploient vivement à nous alerter, en prenant des risques pour leur carrière; alors que trop de leurs collègues, qui pourtant savent, restent au chaud dans laboratoires ou bureaux.
Avec persévérance, Mme Steinberger et d’autres s’efforcent d’expliquer, d’expliquer encore, qu’on va vers des points de bascule aux très graves conséquences. Ils sont critiqués, voire insultés, au motif qu’ils feraient de la politique. Oui, c’est de la politique au sens noble du terme: la préoccupation pour la polis, la Cité. On veut croire que leurs prises de position fondées s’avéreront un contrepoids à des réflexions philosophiques marquées par la myopie, aussi sophistiquées ces dernières soient-elles.
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L’invité – Crise climatique: la sophistication du discours nous endort
Jean Martin regrette l’aveuglement de certains face au dérèglement du climat.