Rentrée littéraireDans la fournaise mortelle de «Sud»
L’écrivain espagnol Antonio Soler retrouve la traduction française avec un roman polyphonique se déroulant sur une journée.

Le dernier livre traduit en français d’Antonio Soler, paru en 2012, s’intitulait «Lausanne» et mettait en scène les souvenirs d’une narratrice pendant un trajet de train de Genève au chef-lieu vaudois. Depuis, l’écrivain espagnol alors suivi par Albin Michel n’avait plus donné de nouvelles aux lecteurs francophones malgré la parution de plusieurs récits dans sa langue originelle.
Les Éditions Rivages prennent le relais avec «Sud», roman polyphonique aux nombreux méandres déroulés sur une journée unique. Contrainte où l’on reconnaît son admiration pour l’«Ulysse» de Joyce, en tant que membre fondateur, avec Enrique Vila-Matas et Jordi Soler, de l’Ordre littéraire des Finnegans, toujours au rendez-vous dublinois du Bloomsday les 16 juin.
Mais l’ambition de «Sud», célébré par quatre prix littéraires en Espagne, est d’un autre ordre, plus modeste et plus classique d’un point de vue narratif: entrecroiser les fils du destin de quelques habitants d’une ville, jamais nommée, du sud de l’Espagne à partir de la découverte, à l’aube dans un terrain vague, du corps d’un homme encore vivant mais infesté de fourmis – insectes si chers à Dalí comme symbole de la décomposition. Homme d’affaires, voyous, infirmière, médecin, employés d’hôtel, femme de passage, SDF, jeunes désœuvrés alternent dans ces pages brûlantes, traversées par le terral, ce vent de fournaise qui engourdit les esprits.
Antonio Soler précise les trajectoires de ses personnages avec un soin du détail qui leur donne une profondeur, de belles modulations de style et même quelques jeux typographiques. L’ensemble, aux valeurs très espagnoles de mort et de soleil, compose une fresque mouvante et haletante de la société d’une ville perdue aux confins de la touffeur et, même si les messages WhatsApp font partie de l’arsenal littéraire de l’écrivain, évoque des situations qui semblent faire irruption d’un autre âge, celui du XXe siècle… Une fièvre nostalgique en somme qui fait la force, mais aussi la limite, de l’auteur espagnol.
Antonio Soler, «Sud», Éd. Rivages, 640 p.

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