David Crosby était le genre d’artiste qui vous faisait illico vous interroger sur les chansons parfaites. Celles qui vous attrapent du premier coup, oui, portant une sorte de vie en elle, de flottement qui avance vers vous, s’insinuent dans l’âme, à la façon d’un décalage immortel. Vous devinez aussitôt qu’elles vont vous accompagner toute l’existence, façon missel de prières intimes, comme une chaude main amie tiendrait la vôtre pour de vrai, pour avoir moins peur ou plus de désir, ce qui revient souvent au même avec les très bonnes chansons pop ou rock.
David Crosby n’écrivait et ne chantait ainsi que des chansons parfaites, j’insiste. Ce genre de truc dépasse vos goûts, votre façon de percevoir. Il ne s’agit plus de savoir si vous préférez Paul Simon ou Gordon Lightfoot, Cohen ou Drake: c’est une histoire d’évidence et de fraternité, de chansons «utiles», dirait Julien Clerc. Une chanson parfaite n’est pas forcément «efficace», ce mot si désespéré, elle ne l’est souvent pas du tout, mais se dépose en vous à la façon d’un truc partagé, sincère, graine qui deviendra arbre, bouquet, quelque chose de fort.
Il existe mille merveilleux faiseurs et entonneurs de chansons. McCartney est inégal, Lana Del Rey adore les fantômes, Dylan devient parfois pédant, Wonder veut sans cesse espérer, Carole King aimerait que l’on s’embrasse sans arrêt, toutes et tous les autres, et je les aime et chéris comme frères et sœurs. Mais il demeure une catégorie très à part, des gens qui écrivent et chantent des histoires servant à la fois de pansement sur les blessures et de carte à suivre pour la route.
David Crosby, mort à 81 ans cette semaine, était donc de ceux-là. Son premier disque solo, «If I Could Only Remember My Name…» sidère encore plus de cinquante ans après. Rien n’y apparaît fixe, les chansons sont en mouvement, sur les cordes de guitares entre la perdition et l’idée simple qui ouvre le disque, «Music Is Love». Il attendit dix-huit années pour un deuxième opus, il n’en sortira que huit. Évidemment, il y eut aussi Crosby, Stills, Nash & Young, peut-être le groupe le plus influent de tous les temps, mais il en avait été l’étincelle créatrice, mauvais coucheur, aussi, celui qui finissait toujours par s’engueuler avec les autres.
À la fin, il semblait apaisé. «For Free», dernier album studio en 2021, portrait du vieux fauve signé Joan Baez sur la cover, était sorti dans l’indifférence. Mais si vous voulez dix chansons parfaites, dix entailles douces enchaînées, si vous savez un endroit secret pour les écouter, faites-le. Cette voix d’ange. Ces harmonies géniales, caresses si abrasives. Sur «I Won’t Stay for Long», vous fondrez en larmes, la vérité qu’il chante n’est pourtant pas triste, mais elle brise de sa poésie les barrières du cœur: c’est ça, la perfection. Merci pour toujours à David Crosby.
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
1000 vies – David Crosby