Un roman pour planer tout l’étéDavid Mitchell embarque pour un voyage dans les sixties
Avec «Utopia Avenue», l’Anglais barjo plonge en 1967. Sexe, drogue et rock’n’roll… et plus si affinités.

Se risquer dans les romans de David Mitchell exige des précautions aussi élémentaires qu’une forte protection solaire lors d’exposition caniculaire. Autant le savoir, «Utopia Avenue» assomme, enivre, prend la tête avec ses centaines de pages détaillées pour déclencher une immersion parfaite dans l’an 1967. A priori, l’excentrique semble avoir calmé ici les furieuses pulsions caractéristiques de son style polyphonique. Sa chronique sur la naissance d’un groupe de pop-rock psychédélique à Londres devait rester linéaire. Mais très vite la partition déraille.
Comme le saphir sur le vinyle qui saute un sillon, des failles spatiotemporelles imprévues se creusent, des personnages évoqués dans ses livres précédents s’invitent à la fête. Bâtard hollandais, Jasper de Zoet, héros de l’imposante fresque historique publiée en 2013, «Les mille automnes de Jasper de Zoet», tient la guitare du band Utopia Avenue avec un sombre talent schizophrénique. Les fans de Mitchell salueront cette âme transportée, les autres peuvent dévisager quelques-uns de ses célèbres «contemporains», Syd Barrett, Brian Jones, Bowie, Zappa et en Mama Cosmique, la reine dingue de soul psyché, Janis Joplin. Des Beatles aux Rolling Stones défile tout ce qu’il y a entre deux, sans oublier les Animals.
Rock’n’roll fantasque
Quant au groupe, ses gesticulations cristallisent la décomposition de l’époque. Voyez Elf Holloway, à la sexualité mouvante, Dean Moss traumatisé par son enfance ou Griff, le zonard du Yorkshire. Selon un procédé cher à l’auteur, chaque chapitre titré sur une chanson se concentre sur une figure particulière, comme pour sérier une créativité bouillonnante. Universitaire qui a vécu en Sicile ou au Japon, le résident irlandais désormais gratte les sédiments de ses expériences. Comme en 1967, David Mitchell n’était pas né, l’affaire n’en est que plus jouissive.
Car ce bourlingueur de l’espace-temps pose son sac dans ces folles sixties avec un sacré bagage. L’écrivain a cartographié les nuages dans «Cloud Atlas», sextette jazzy adapté au cinéma par les non moins fantasmagoriques sœurs Wachowski, battu «L’âme des horloges» avec une Cassandre courtisée par six prétendants obéissant à des jeux obscurs, soulevé les pierres sur le chemin d’une maison hantée de toute éternité, «Slade House». «Utopia Avenue» glisse sur le pick-up de la nostalgie éclairée par l’infini. De toute beauté.

David Mitchell
«Utopia Avenue»
Éd. de l’Olivier, 752 p.
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