«De toute ma vie, avoir repris tout Brassens est ce dont je suis le plus fier»
Maxime Le Forestier est de retour avec un nouvel album qu'il promet être le dernier. L'occasion, avec ce disque bilan, de revenir sur quarante années d'artisanat appliqué, d'amitiés endurantes et de vedettariat compliqué.

Soulagé ou repus, Maxime Le Forestier? On se tâte. Le musicien sort de table, un gentil troquet au pied de sa maison de disques parisienne, ce qui pourrait expliquer son train de sénateur au moment de raconter «Paraître ou ne pas être», son 16e album, entre deux gorgées de café. Ça pourrait aussi être un état bienheureux, content du travail accompli, de la part d'un des derniers grands de la chanson française qui, pourtant, continue de douter et promet que chaque disque sera l'ultime. Il rit. «Je dis ça depuis trois albums. Mais j'avoue que c'est toujours plus dur au regard de son propre répertoire, de celui des autres, du poids des rimes et des sujets qu'on a déjà employés souvent beaucoup trop.»
Une chanson, cela s'attrape ou cela se cherche?
Ça arrive tout seul. Un bout de phrase, quelques syllabes ou trois notes… On tire sur le fil et le sujet apparaît en même temps que la chanson.
Est-ce que l'on gagne en confiance en soi, l'expérience aidant?
Même pas. (Il réfléchit.) Je ne crois pas.
Même après avoir repris Brassens en acrobate durant cinq ans, forcé de jouer à chaque concert un répertoire choisi au hasard par le public?
Ce n'était pas une manière pour moi d'apprendre mon métier, ni un exploit. De toute ma vie, c'est la chose dont je suis le plus fier. Brassens est pour la chanson ce que Bach est pour la musique classique: une borne. On se situe par rapport à elle, quoi qu'on fasse. Il méritait son Glenn Gould (ndlr: pianiste canadien spécialiste de l'œuvre de Bach) et je suis heureux que ce soit moi.
Ce compagnonnage n'a pas eu d'influence sur votre écriture?
Non, pas du tout. Ça m'a fait travailler la guitare! Mais j'ai réglé depuis belle lurette mes problèmes d'écriture par rapport à Brassens. Ce n'est plus un sujet. Entrer dans son style m'a définitivement convaincu qu'il était différent du mien et que je devais en prendre mon parti.
Par quelle chanson s'est présenté le nouveau disque?
Par «La vieille dame», qui m'est arrivée pendant la campagne présidentielle. Je voyais la France comme un pays ankylosé, une grand-mère qui a peur de traverser la rue. Alors elle se choisit un président-roi énergique, et deux ans plus tard elle veut lui couper la tête. C'est la même histoire depuis vingt ans. On attend du changement mais on le craint. Les gens prennent le président de la République pour un roi omnipotent. Carla (ndlr: Bruni, chanteuse et épouse de l'ex-président Nicolas Sarkozy) m'avait raconté le courrier qu'elle recevait à l'Élysée: on s'adressait à la reine, on lui demandait presque de guérir les écrouelles.
Elle est toujours une amie?
Oui, elle est passée de gauche à droite, ça arrive. Et puis, comme j'ai titré une chanson de l'album, «Les filles tombent amoureuses de n'importe qui». (Il rit.)
Le disque s'ouvre par une question sur la venue au monde et s'achève en questionnant la mort. Vous vous demandez si l'enfance a une date limite. Quelle fut la vôtre?
Je me le demande bien, justement. Avec le temps, tout a tendance à s'estomper. Ç'aurait dû être le service militaire, mais ma part d'enfance en est sortie indemne, heureusement.
Et l'arrivée du succès?
Il ne maintient pas dans l'innocence, c'est certain. Cela va peut-être choquer, mais je pense que le succès est un traumatisme plus puissant que l'échec. On ne peut pas imaginer les dégâts qu'il occasionne. Vous vous souvenez de Marco Beacco, aujourd'hui décédé, à qui on avait demandé de faire coach vocal de la «Star Academy»? Il m'avait téléphoné pour me demander s'il devait accepter le poste. Je lui avais répondu: «Si tu acceptes, tu auras toujours une place au restaurant mais tu ne prendras plus jamais un café en terrasse.»
En avez-vous aussi parlé avec votre ami Julien Clerc, coach de «The Voice»?
Non, il était célèbre à 18 ans, il a l'habitude. Julien, on a l'impression qu'il est né célèbre. C'est marrant, il a beaucoup apprécié cette expérience de téléréalité. Il m'en a parlé avec un enthousiasme de gosse. Il m'a raconté comment il avait fait ses choix, comment il fallait gérer les règles du jeu… Il m'a surtout dit que cela l'obligeait à mettre des mots sur ses émotions, ce à quoi il n'est pas habitué.
Il signe sur le disque la musique de «Dernier soleil»…
Avec Julien, on est amis depuis quarante ans. Il m'a téléphoné alors que j'écrivais le disque dans ma maison près de Blois. «Je joue demain soir en ville, je peux dormir chez toi la veille?» Et comment donc! J'avais alors trois textes dont la musique ne me satisfaisait pas. Je les ai laissés négligemment sur le piano du salon, en supposant que Julien aurait envie de se dégourdir les doigts au réveil. Ça n'a pas manqué. Le soir après son concert, la première chose qu'il me dit quand je le retrouve en coulisses: «Au fait, j'ai ta musique.»
«Brassens m'a dit un jour: il faut quand même admettre que sans sa musique, «l'Auvergnat» est un poème assez médiocre»
Les notes sont légères, le sujet grave.
Oui. Il m'a dit de jouer des guitares avec des pickings, quitte à sonner un peu country. Il voyait ça ainsi. C'est toujours intéressant de marier les ambiances. Vous savez, la chanson est un objet hybride. Ce n'est pas de la grande musique, on utilise souvent des motifs déjà entendus. Ce n'est pas non plus de la poésie. Brassens m'a dit un jour: «Il faut quand même admettre que, sans sa musique, «L'Auvergnat» est un poème assez médiocre.» Mais on ne contredisait pas Brassens.
Avec le succès viennent le paraître et l'image que l'on donne de soi, un thème du disque. Vous en avez souffert?
J'ai décidé en un jour de casser mon image. C'est arrivé de Suisse, d'ailleurs, en 1975: le producteur m'avait envoyé des affiches pour des concerts chez vous, barrées d'un immense «Le célèbre chanteur contestataire». Le soir même, j'ai gommé de mon répertoire toutes mes chansons engagées. «Le parachutiste», «J'm'en fous de la France». J'en avais assez de mon image.
Comment considérez-vous l'implantation de l'écologie au premier rang des débats politiques?
C'est frustrant de penser que l'écologie s'impose parce que l'état de la planète le commande, avec le risque d'arriver trop tard. À l'époque, on nous traitait de pacifistes bêlants, d'utopistes ringards. Les fronts étaient idéologiques, ce qui n'est jamais constructif. Les écologistes politiques résidaient souvent en ville et se sont mis à dos les paysans et les chasseurs. J'habite à la campagne, mes opinions sont moins tranchées que quand j'étais jeune. Supprimez la chasse, et vous verrez les sangliers défoncer votre jardin. J'ai un ami agriculteur qui ne touche pas le SMIC et se trouve prisonnier économiquement de l'emploi du glyphosate. Tout n'est pas noir ou blanc.
Qu'écoutez-vous au quotidien?
Comme disait Didier Lockwood: je ne suis pas mélomane, je suis musicien. Quand j'écoute de la musique, c'est ce qui passe. De la chanson française, ces derniers temps. J'aime beaucoup Orelsan, il dit des choses qui m'intéressent.
Votre album présente comme toujours une patine acoustique. Avez-vous jamais joué d'une guitare électrique?
J'en ai acheté une il y a très longtemps, une Gibson Les Paul. Je l'ai jouée une fois, et c'était très laid. Elle a dormi pendant des années, et c'est mon fils Arthur qui l'a.
Il chante avec vous sur «Le ruisseau», qui évoque la vie qui serpente et s'en va au loin, de rives en estuaires. Il fallait la chanter avec votre fils?
Oui. Je la dois d'ailleurs à Arthur. Mon ami Philippe Lafontaine avait composé un bout du premier couplet, et Arthur l'a fait chier pour qu'il la finisse un soir. Dès qu'il est parti, on s'est rués dessus, lui et moi, comme une gourmandise. On l'a chantée à deux, juste pour le plaisir, comme on aime le faire avec «Bruxelles» de Dick Annegarn ou «La ballade de Jim» d'Alain Souchon. Arthur a une octave plus haute que moi, c'est très intéressant.
Une chanson de clôture en forme de bilan de vie en duo avec votre fils. Faut-il penser qu'elle sera la dernière?
Peut-être. Au moment où je vous parle, je suis persuadé que je n'en ferai pas d'autre. Mais je l'ai souvent dit, alors il ne faut pas me croire.
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