Des bécassines sourdes en pension à Lausanne
C'est une première: quatre demoiselles au long bec passent la saison froide dans une zone très urbanisée de la capitale vaudoise.
C'est une rencontre étonnante entre deux mondes: sur les terrains qui accueillent déjà le Biopôle – cité scientifique – et verront s'élever d'autres bâtiments dans l'avenir, quatre bécassines ont choisi de s'arrêter pour hiverner au cœur d'un confetti de friches et de roseaux. On pourrait voir là une sorte de fable qui s'intitulerait par exemple Les demoiselles et le béton, fable qui laisserait percevoir un message sombre, une morale pessimiste, évoquant la guerre de la civilisation et de la nature.
Une appellation intrigante
Mais pourquoi ne pas prendre cette histoire par l'autre bout, et se dire que grâce à la construction du M2 et aux remblais ainsi créés, grâce à un bassin de rétention aménagé avec les premiers travaux du Biopôle, grâce à l'eau qui s'y écoule en permanence, ces bécassines survolant Lausanne ont pu s'arrêter et vivre un hiver confortable.
Ces oiseaux portent un joli plumage et une appellation intrigante: ce sont des bécassines sourdes. Ce nom de baptême leur a été donné il y a longtemps par les chasseurs, impressionnés et troublés par la faculté qu'ont ces oiseaux à ne pas s'envoler quand l'ennemi – chien, piéton, chasseur, rapace – arrive dans leur secteur. La bécassine sourde reste où elle est, elle se tapit, elle s'écrase au sol, elle ne bouge pas, elle n'a qu'un désir, c'est de passer inaperçue. Il lui est arrivé, dit la légende, de se faire marcher sur le corps tant elle avait attendu.
Des locataires fidèles
Ne cherchez pas à aller la repérer ou la débusquer dans son refuge des hauts de Lausanne: elle est impossible à apercevoir, car elle blottit ses cinquante grammes de chair et de plumes derrière les roseaux qui sont exactement de la couleur de sa robe. Il faut l'œil de l'expert pour les repérer, mais aussi de la chance, comme l'explique l'ornithologue Lionel Maumary: «Je ne les aurais sans doute pas découvertes si, en approchant d'une fiente au bord du biotope, pour regarder de quel oiseau elle provenait, je n'en avais pas dérangé une qui s'est quand même envolée, ce qui n'est pas évident!»
Pour l'ornithologue (présent sur www. oiseaux.ch), une grosse surprise: «Oui, car nous sommes presque en pleine ville, mais la capacité des oiseaux à repérer les derniers lieux en friches qui leur conviennent est fascinante. Ils ont un avantage sur les humains: ils voient les choses d'en haut, et ça change tout. Et comme leur vue est de vingt à cent fois supérieure à la nôtre…»
Venues de loin
Les quatre bécassines sourdes sont venues de la taïga, elles repartiront vers la mi-mars pour y nicher. Puis, en automne – parce que ces oiseaux n'oublient pas les lieux où ils se sont sentis bien – elles reviendront à Epalinges. Pour profiter de la bonne terre mouillée où elles pourront à nouveau planter leur bec durant tout l'hiver, à la recherche d'invertébrés, à l'abri des vents et du gel, préservées de tous les regards, dans les roseaux et sous les massettes, en un mimétisme sidérant.
«Ce sont des oiseaux fidèles à leur site d'hivernage quand il leur a convenu. Donc oui, elles reviendront, mais il reste quand même une interrogation et une crainte: ce site sera-t-il préservé dans l'avenir, au fil des nouvelles constructions du Biopôle? Pour le moment, il faut d'abord être très reconnaissant, puisque c'est grâce à ce chantier que ce marais a vu le jour. Pour être optimistes, imaginons que les architectes des futurs bâtiments soient sensibles à l'existence et à la présence de ces oiseaux, et qu'ils les intègrent, en quelque sorte, dans leur projet.»
Intégrées dans le quartier?
Intégrer des bécassines de quelques dizaines de grammes dans un quartier tout entier? «Pourquoi pas, nous essaierons de convaincre nos interlocuteurs. Après tout, ces bécassines sourdes ont besoin de peu d'espace et pourraient, en raison de leur discrétion absolue, cohabiter en pleine urbanisation, pourvu que leur zone humide soit préservée.»
Les bécassines ne sont d'ailleurs pas les seuls oiseaux à avoir profité de s'installer là: fauvettes, bruants, mésanges, pipits, bécassine des marais, et même faucon crécerelle y vivent sereinement. «Ces oasis qui subsistent comme par miracle malgré les politiques de densification peuvent faire réfléchir. Elles jouent parfois, au milieu de secteurs très actifs et peuplés, un rôle apaisant et éducatif. Imaginons donc cette zone humide au milieu d'un quartier, et tout l'apport qui serait le sien pour la population, la jeunesse en premier lieu.»
Dans quelques jours, les bécassines sourdes s'envoleront à 80 km/h vers le cercle polaire, pour retrouver la forêt boréale. Une fois arrivées, elles gratteront un peu le sol, y pondront quatre œufs déposés en forme de croix, et les petits apparaîtront après trois semaines d'incubation. A peine nés, ils se nourriront seuls, mais seront conduits, protégés, réchauffés par leur mère pendant quelque temps. Et en septembre, tout le monde repartira vers le sud, vers Lausanne, vers Epalinges et ce petit miracle de zone humide.
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