Col de JamanDes passionnés passent la bague aux pattes des oiseaux et chauves-souris
Des bénévoles se relaient nuit et jour, de début août à fin octobre, pour capturer les animaux volants et les baguer lors d’une action presque trentenaire. Reportage.
Se hisser en fin de journée jusqu’au col de Jaman, c’est espérer secrètement se retrouver coincé sur place. Imaginez un peu le tableau: passer la nuit la tête dans les étoiles, considérant les lumières autour du Léman tout en bas un peu comme un astronaute regarde la Terre depuis la Station spatiale internationale…
Depuis près de trente ans, de début août à fin octobre, il est possible de passer la nuit sur ce perchoir tout en se rendant utile. En effet, la station ornithologique de Jaman cherche chaque année des bénévoles pour baguer les oiseaux et les chauves-souris et assurer une permanence de jour comme de nuit.
Le col de Jaman est un endroit stratégique pour les ornithologues. «En partant du nord de l’Europe, les oiseaux migrateurs, s’ils vont en Afrique, ont plusieurs obstacles à passer, détaille Chris Venetz, biologiste et responsable des opérations de baguage. D’abord les Alpes, puis la Méditerranée, pour arriver au Sahara. Pour ne pas affronter les hautes montagnes durant leur périple, ils passent par des couloirs, comme derrière nous la vallée de l’Intyamon qui fait office d’entonnoir. Une fois arrivés sur le col, ils ont la vue sur le Léman et peuvent partir direction Sud.» Ou se prendre dans les filets de près de 10 mètres que la station ornithologique tend, mais uniquement par temps sec.
Mieux connaître les espèces
Le ciel se pare de nuances rose orangé puis bleues. On a choisi de grimper à Jaman le soir pour observer les chauves-souris, qui elles aussi sont capturées durant ce travail de baguage qui vise à mieux connaître les espèces. Lionel Maumary, biologiste et créateur de la permanence de Jaman, indique: «On fait des rondes toutes les 30 à 45 minutes, de jour comme de nuit, reprend-il, pour éviter que les oiseaux ne restent prisonniers trop longtemps ou que les chauves-souris ne découpent les filets avec leurs dents.»
La première prise de la nuit consiste en un troglodyte mignon que l’ornithologue s’empresse de libérer délicatement. «Il est déjà bagué!» lance-t-il au bagueur en chef. «Quel numéro? Je suis sûr qu’il s’agit de celui qu’on a pris l’autre jour», commente Chris Venetz. Sans plus attendre, le volatile est relâché.
Retour à la cabane, les mains vides. On s’installe pour patienter une quarantaine de minutes, nourrissant l’espoir d’attraper une chauve-souris, une espèce dont on sait relativement peu de choses, nous apprend Lionel Maumary. «Les chiroptères sont nombreux à vivre dans les parages et à passer par le col en raison des nombreux insectes qui s’y trouvent. Nous, on tente de les capturer pendant la période d’essaimage, soit au mois d’août et septembre, au moment où les mâles se regroupent à l’entrée des grottes pour féconder les femelles.»
Secrets bien gardés
Presque trois quarts d’heure sont passés, on ressort la lampe frontale et on remonte jusqu’aux filets. Il fait nuit noire, un vent d’est s’est levé. «Ce n’est pas optimal pour attraper les chauves-souris, commente Lionel Maumary. Mais attendons, ça peut tomber, d’autant plus que les températures restent élevées…» Retour à la cabane, toujours zéro capture au compteur. Chris Venetz, pas encore 30 ans et qui participe au baguage chaque année depuis 2005, se souvient d’une triste année où durant deux semaines il n’avait rien pris du tout en raison d’une bise noire persistante.
«Une fois que j’ai trouvé le nid, il m’a fallu encore 600 heures d’affût pour pouvoir filmer cette scène»
On en profite pour questionner les ornithologues sur leur passion. Chris Venetz a longuement étudié la bécasse des bois. Lionel Maumary a quant à lui diversifié ses intérêts au fil des années. Sa dernière marotte: le circaète Jean-le-Blanc, un rapace qu’on trouve en Valais et qui se nourrit de serpents. Il dégaine son téléphone et nous montre une vidéo dans laquelle on voit un petit oiseau dans un nid qui s’agite et crie. La mère arrive à tire-d’aile, un reptile encore vivant dans le bec, et le donne à son fils qui l’engloutit. Spontanément, on propose de l’accompagner la prochaine fois qu’il ira visiter «sa» famille de circaètes. Silence… «Si vous saviez le nombre de personnes qui veulent accompagner Lionel», réplique amusé Chris Venetz. Dans le milieu, on ne révèle pas ses planques. «Une fois que j’ai trouvé le nid, il m’a fallu encore 600 heures d’affût pour pouvoir filmer cette scène», ajoute Lionel Maumary.
Vingt chauves-souris et 135 oiseaux différents
Quarante-cinq minutes plus tard, le vent perdure: aucun visiteur à poils ou à plumes dans les filets. Et pourtant, vingt espèces différentes de chauves-souris – et 135 espèces d’oiseaux – ont été capturées à Jaman en trente ans d’activités. «Cette année, on a même retrouvé un oreillard roux qui avait été bagué ici en 2000, soit il y a vingt ans», apprend Chris Venetz.
Retour à la cabane, les anecdotes aviaires volent. On se fait à l’idée qu’on redescendra sûrement sans avoir rien pu capturer. On se contentera donc du troglodyte mignon du début de soirée. On demande encore si les espèces ont tendance à diminuer à Jaman. «Bien sûr que depuis trente ans, certains oiseaux qui avaient été observés ici n’ont plus été capturés, regrette Lionel Maumary. Mais il faut aussi noter les espèces nouvelles qui ne passaient auparavant pas par Jaman. Comme le guêpier d’Europe, qui niche en Méditerranée et qui vient jusque chez nous en raison de températures plus clémentes.»
On relève une ultime fois les filets, désespérément vides. Il est l’heure de redescendre. Dans la voiture, on repense aux 600 heures passées par le passionné, planqué en dessus du nid de rapaces. Et on se dit qu’une moitié de nuit à l’abri dans une cabane, c’était plutôt confortable.
Le baguage se poursuit jusqu’à la fin octobre. Pour y participer, écrire à jaman@oiseau.ch ou appeler le 079 323 71 03.
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