Des Vaudois recueillent Saint-Ex dans le désert
Survivant miraculeusement à un crash, l'aviateur-écrivain peut compter sur l'hospitalité de la famille Raccaud, expatriée en Égypte.
C'est l'histoire d'un pilote en panne dans le désert et qui y fait une rencontre miraculeuse. C'est évidemment celle du «Petit Prince», deuxième ouvrage le plus traduit au monde après la Bible. C'est aussi celle vécue par Antoine de Saint-Exupéry, l'homme qui tenait tant à son enfance. Le 30 décembre 1935, aux commandes de son Caudron Simoun, il s'écrase dans le désert, à l'ouest du Caire, en Égypte.
Survivant par miracle au crash – à 270 km/h, le robuste monomoteur a glissé sur des galets – «Saint-Ex» et son mécanicien André Prévot passent trois jours complètement perdus dans les sables, pratiquement sans nourriture et sans eau, avant d'être sauvés par des Bédouins alors qu'ils se voient morts.
Là s'arrête le récit détaillé fait par l'écrivain-pilote dans «Terre des hommes», publié en 1939. Il n'a jamais raconté ce qui s'est passé par la suite. Sa biographe Stacy de La Bruyère prend le relais: «Hissant les deux hommes sur un chameau, les Bédouins entreprirent de les ramener à la civilisation. Ils ne purent faire plus de quinze kilomètres, le pilote et son mécanicien étant trop faibles pour tenir sur leurs montures.»
«Pouvons-nous compter sur votre très grande obligeance et vous demander de nous recueillir le plus tôt possible en auto ou canot?»
Deux de leurs sauveteurs partent alors en direction de Ouadi Natroun, à 20 km de là, où ils savent trouver de l'aide. Celle de Mme Suzanne Raccaud, épouse d'Émile Raccaud, d'Aubonne, directeur de l'Egyptian Salt & Soda Co. Ltd., qui extrait là du natron pour la fabrication de soude caustique.
Les Bédouins tendent à la Vaudoise un billet où il est écrit: «Pouvons-nous compter sur votre très grande obligeance et vous demander de nous recueillir le plus tôt possible en auto ou canot. Notre guide vous expliquera où nous sommes.» Signé Antoine de Saint Exupéry. Dessous: «Nous vous remercions d'avance.»
Suzanne Raccaud, dont le mari est à Alexandrie, ne perd pas de temps. «Le Bédouin m'explique que les Français ont rencontré leur caravane à environ 45 km d'ici, qu'ils venaient de plus loin et qu'actuellement ils sont à 20 km», écrit-elle plus tard dans son journal. Elle envoie une camionnette à la recherche des naufragés du désert.
Les mots «en auto ou canot» dans son billet soulignent que l'aviateur ne sait alors absolument pas où il se trouve. Partis le dimanche 29 décembre à 7 h du matin de l'aéroport du Bourget, Saint-Exupéry, 35 ans, et Prévot, 28 ans, ambitionnaient de rejoindre Saigon en un peu plus de trois jours (par étapes) et de remporter ainsi la prime de 150'000 francs promise au meilleur chrono sur ce raid.
Ils fonçaient dans la nuit
Après un arrêt le temps de faire le plein en Libye, les aventuriers foncent vers Le Caire. Mais dans la nuit noire et les nuages, ils ont dévié de leur cap. Saint-Ex croit avoir franchi le Nil alors qu'il est encore à plus de 100 km du fleuve, en plein désert Libyque. Quand son avion emboutit le sol, le pilote s'imagine à 400 m d'altitude.
«Je crois bien ne rien avoir attendu d'autre, pour le centième de seconde qui suivait, que la grande étoile pourpre de l'explosion où nous allions tous les deux nous confondre. Ni Prévot ni moi n'avons ressenti la moindre émotion», écrit Saint-Ex dans «Terre des hommes». Trois jours après l'accident, le 2 janvier 1936, les miraculés voient arriver la camionnette envoyée par Suzanne Raccaud. À 18 heures, les deux Français sont en sécurité dans la maison des expatriés vaudois.
«Oui, du thé… et du whisky, suggère Saint-Ex. Nous avons tellement souffert de la soif!»
Quand Émile Raccaud rentre chez lui, avec à la main un journal racontant la disparition des aviateurs, il est estomaqué de les découvrir dans son salon, fumant et racontant leurs mésaventures à sa femme. Il propose une collation et du thé. «Oui, du thé… et du whisky, suggère Saint-Ex. Nous avons tellement souffert de la soif!» À 20 heures, l'Aubonnois conduit les rescapés au Caire, d'où ils peuvent téléphoner aux autorités françaises et à leur famille.
Quinze jours chez les Raccaud
Le 3 janvier, à peine remis de ses émotions, André Prévot est de retour chez les Raccaud afin d'aller travailler sur l'avion. Saint-Exupéry arrive quatre jours plus tard en compagnie des agents d'assurances. Le Caudron Simoun est en mauvais état: il a perdu ses ailes, son hélice, le capot du moteur, ses vitres, une porte… Les 15 jours suivants, les rescapés du désert vivent chez les Raccaud à Ouadi Natroun, le temps de démonter l'appareil afin de récupérer ce qui peut l'être et de l'expédier en France. Le 18 janvier, laissant Prévot derrière lui, Saint-Exupéry embarque à Alexandrie en direction de Marseille.
L'expérience de la chute dans le désert saharien, de la faim et de la soif, ses méditations sur la mort («Je ne regrette rien. J'ai joué, j'ai perdu. C'est dans l'ordre de mon métier», écrit-il dans «Terre des hommes»), les hallucinations qu'il y a connues et la rencontre miraculeuse des Bédouins pourraient avoir inspiré «Le Petit Prince» à Saint-Exupéry.
En tout cas, l'aviateur-écrivain n'allait pas oublier de si tôt son séjour chez les Raccaud. En mars 1936, à Émile qui lui envoie des photos du remorquage de son appareil (les clichés d'Émile Raccaud sont hélas apparemment perdus), Saint-Ex écrit sa gratitude éternelle: «D'ailleurs, je regrette déjà le Ouadi Natroun et sa paix. Ici (ndlr: Paris) le monde a l'air moins désert, mais l'est beaucoup plus.»
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