Pour l’amour du fromageDeux chefs fondus d’histoires qui puent
Bernard Mure-Ravaud, meilleur ouvrier de France, et son complice Jean-Charles Karmann reniflent en poètes 80 pâtes affinées et cuisinent leurs artisans.

Les gourmets le savent, les belles bacchantes de Bernard Mure-Ravaud se trémoussent d’aise à la vue d’un fromage. Le meilleur ouvrier de France, sacré champion du monde de la discipline, patron à Grenoble de la boutique La Fromagerie des alpages où trônent quelque 150 spécialités, parle avec un tel lyrisme poétique de son obsession que le colosse doit en rêver la nuit. Avec Jean-Charles Karmann, qui lui se définit comme «un confiseur-fromager», le Savoyard trouve un complice à sa hauteur. La preuve dans «La cuisine du fromager», où les compères explorent à la souche pas moins de 80 pâtes molles, pressées, cuites, lavées, etc.

Mure-Ravaud et Karmann se concentrent sur la France, évidence depuis la gaullienne tirade sur l’impossibilité de gouverner «un pays où il existe 258 variétés de fromages». Mais n’en négligent pas la Suisse, et notamment la Maison de L’Étivaz qui leur arrache des larmes. Procédant avec méthode, leur aventure helvétique commence avec le Sulz d’Appenzell, au couvent de Grimmenstein où, en Sherlock Holmes fromagers, les détectives tentent d’extirper aux religieuses le secret des herbes qui parfument la pâte. Las, les nonnes ont fait vœu de silence. Ils s’en consolent avec une recette inédite de «Croqu’en terrine», spécifiant que l’art ne connaît pas de frontière.

Les auteurs baguenaudent ainsi, rapportant en courts chapitres anecdotes de terrain, conseils de cuisine et détails historiques. À croire qu’ils ont devisé avec les stars vaudoises du livre, ces fameuses 3000 vaches qui produisent L’Étivaz au sein de 72 familles répertoriées, et uniquement de mai à octobre. Se souvenant avec émotion d’effluves muscadés dans un sillage de noisettes et de baies, les experts conseillent de croquer la croûte, garantie d’une explosion gustative nirvanesque.

Les photographies hyperléchées contrastent avec ces récits rustiques, tout comme les combinaisons inspirées par des crus aussi foudroyants que les Banon, Morbier, Ossau-Iraty, Picodon ou Saint-Marcellin. En clafoutis de coing ou pêche farcie comme une tomate, zèbre de noix ou moelleux de litchis, les revisites titillent les sens dans une fontaine de bombance. Voir la proposition de fondue de Savoie selon ces mages iconoclastes, qui associe du pain noir, des truffes, du blanc et du fromage local, le tout lissé en une pâte taillée en billes, passées en chapelure et frites. Une truffe à la truffe, quoi.
«La cuisine du fromager», Bernard Mure-Ravaud et Jean-Charles Karmann, Éd. Glénat, 240 p.
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