Votations fédérales du 15 maiDeux comités s’affrontent sur la Lex Netflix
Un comité romand interpartis affirme que la nouvelle loi permettra de tourner davantage de films et séries en Suisse. Les référendaires dénoncent un «impôt sur les films» inutile.

En demandant aux plateformes de streaming d’investir 4% de leurs recettes dans la production helvétique, la Lex Netflix permettra de tourner davantage de films et de séries en Suisse, a argumenté mardi le comité romand interpartis. Les Suisses se prononcent le 15 mai.
Elena Tatti, coprésidente d’Aropa, l’association romande de la production audiovisuelle qui coordonne la campagne du «oui à la loi sur le cinéma» en Suisse romande «se réjouit du large éventail politique, qui soutient ce projet», a-t-elle mardi matin devant la presse à la Cinémathèque de Lausanne. Après le comité alémanique la semaine dernière, c’est au tour des politiciens romands d’entrer en campagne avec des représentants du PLR, du Centre et du PS.
Tourner en Suisse
«Aujourd’hui, le consommateur suisse finance, avec son abonnement aux plateformes étrangères, le cinéma européen sans soutenir les cinéastes suisses et l’économie locale, souligne le conseiller aux États Olivier Français (PLR/VD). Du fait de la numérisation, une masse trop importante de profits réalisés en Suisse par les plateformes et les TV étrangères quittent la Suisse.» L’Office fédéral de la culture estime cette somme à 600 millions de francs par année.
Selon un audit du cabinet indépendant Ernst & Young, un franc investi dans l’audiovisuel rapporte 3,1 francs à l’économie réelle, cite encore le politicien vaudois. Par exemple les producteurs de la série «Hors saison» du réalisateur Pierre Monnard, tournée à Champéry (VS), ont dépensé 4,7 millions de francs en Suisse (dont 800’000 francs en Valais) sur un budget total de 8,2 millions.
«Ce n’est pas une révolution puisque les chaînes suisses de TV doivent déjà investir ce même pourcentage de leur chiffre d’affaires dans la création cinématographique.»
Avec la Lex Netflix, les plateformes de streaming et les chaînes de TV étrangères qui ont des fenêtres publicitaires en Suisse devront verser chaque année au moins 4% de leurs recettes brutes au secteur audiovisuel helvétique. «Ce n’est pas une révolution puisque les chaînes suisses de TV doivent déjà investir ce même pourcentage de leur chiffre d’affaires dans la création cinématographique», argumente la conseillère nationale Marie-France Roth Pasquier (Le Centre/FR).
Le Conseil fédéral et la majorité des parlementaires visent avec ce projet l’égalité de traitement sur le marché intérieur et à éliminer le désavantage concurrentiel de la Suisse, face aux pays européens. «Ceux-ci connaissent déjà des obligations d’investissement et à des niveaux bien plus élevés avec 26% appliqués en France et 20% en Italie», relève la Fribourgeoise.

Une obligation d’investir
Les référendaires avancent l’argument que ces 4% sont une taxe et que les abonnements vont augmenter avec cette loi. Le projet n’introduit ni un impôt ni une subvention, mais une obligation d’investir, rappelle le comité. L’audiovisuel suisse qui recevrait environ 18 millions de francs par an en sortirait renforcé.
Quant à l’augmentation du prix de l’abonnement, le comité ne voit pas de lien entre la Lex Netflix et une éventuelle hausse. Pour une raison concurrentielle d’abord, les plateformes qui sont en concurrence avec d’autres doivent s’aligner sur les prix pratiqués. Ensuite, une hausse des abonnements n’a pas été observée dans les pays voisins, qui connaissent déjà l’obligation d’investir.
Opportunité pour les jeunes créatifs
Les référendaires estiment que ce projet est contraire aux intérêts de la jeunesse. Pour la conseillère aux États Elisabeth Baume-Schneider (PS/NE), cette loi est au contraire une chance pour les jeunes Suisses: «en renforçant notre soutien à la production, nous créons de nouvelles opportunités et favorisons la carrière des talents en Suisse». Et de rappeler que la Suisse, qui investit dans ses Hautes écoles, bénéficie «d’un terreau en compétences dans les métiers liés au cinéma.»
L’enjeu est aussi lié à l’exportation des films suisses. «En Suisse romande, un film sur deux est coproduit avec l’Union européenne, a dit la conseillère nationale Simone de Montmollin (PLR/GE). Les plateformes seront également obligées de programmer 30% de films européens, comme l’exigent la majeure partie des pays alentour.
«Ne pas s’adapter aux règles en vigueur dans l’UE aura pour effet d’entraver l’exportation de films suisses en Europe, mais surtout de saper tout effort visant un retour de la Suisse dans le programme MEDIA d’Europe Créative. La Suisse en est exclue depuis le 9 février 2014, après le oui à l’initiative de l’UDC contre l’immigration de masse» a rappelé la politicienne genevoise.
Le projet a été adopté par une large majorité parlementaire à Berne allant de la droite à la gauche en passant du PLR, Le Centre, les Vert’Libéraux au PS, Verts et PEV. Les jeunesses des Verts, du PS, du POP et du Parti évangélique s’engagent aussi pour la Lex Netflix. Les jeunes du Centre ne font pas partie du comité référendaire contre la loi sur le cinéma, formé des jeunes PLR, UDC et Vert’libéraux.
Au niveau suisse, le PLR a dit non. Par contre les sections vaudoise et genevoise soutiennent la Lex Netflix. Et au parlement à Berne, les deux tiers des élus PLR ont dit oui, relève encore Olivier Français.
«Non» à un «impôt sur les films»
La nouvelle loi sur le cinéma passe complètement à côté des besoins des consommateurs, estime un comité référendaire. Il dénonce un nouvel «impôt sur les films» injuste et inutile. «La loi sur le cinéma passe complètement à côté des consommateurs et la nouvelle taxe sur les films est une attaque frontale contre leur porte-monnaie», a dénoncé mardi devant les médias à Berne Matthias Müller, président du comité référendaire et des Jeunes libéraux-radicaux.
Pour le comité, l’obligation d’investissement équivaut à un impôt sur les films: ce sont des moyens qui sont retirés aux acteurs concernés et redistribués. De nombreux pays européens ne connaissent pas une telle obligation, comme l’Autriche, l’Angleterre, la Suède ou la Norvège, a-t-il pointé.

«Si les fournisseurs privés doivent désormais payer des taxes supplémentaires aux cinéastes suisses, ces coûts finiront par incomber aux consommateurs», a argumenté Daniela Schneeberger, vice-présidente de l’Union suisse des arts et métiers (USAM) et conseillère nationale PLR. «Nous devrons à l’avenir payer des frais d’abonnement plus élevés pour Netflix et autres, ce qui est tout simplement injuste», a critiqué Matthias Müller.
Ce nouvel impôt est en outre totalement inutile, car la création cinématographique est déjà subventionnée chaque année à hauteur de plus de 120 millions de francs, ont calculé les opposants. La Confédération, les cantons et les communes subventionnent à eux seuls le cinéma suisse à hauteur de 80 millions par an. À cela s’ajoutent les fonds fournis par la SSR, à hauteur de 50 millions.
Une logique «protectionniste»
Le quota de films européens prévu ne permettra pas d’atteindre l’objectif visé et ne fera qu’augmenter la bureaucratie, argumente le comité référendaire. La diversité culturelle invoquée est une fausse promesse, selon lui, car les films d’un seul pays européen suffisent à remplir cette exigence.
«La loi dicte aux consommateurs ce qu’ils doivent regarder.»
Les fournisseurs de streaming devront réduire leur offre de productions d’autres régions du monde pour respecter les quotas, a critiqué David Trachsel, président des jeunes UDC. «La loi dicte aux consommateurs ce qu’ils doivent regarder».
La nouvelle loi installe la politique de soutien au cinéma dans une logique «protectionniste, eurocentrée et de repli sur soi-même», estime pour sa part Virginie Cavalli, coprésidente des Jeunes Vert’libéraux. «Limiter le soutien au cinéma à la nationalité de ses producteurs est simplement aberrant et contraire à la liberté qui est induite par toute forme d’art».
Chaînes privées opposées à la loi
Outre les acteurs étrangers, les chaînes privées suisses devront également davantage passer à la caisse, a dénoncé Roger Elsener, membre de la direction de CH Media et président de l’Association Télévisions Privées Suisses. «L’affirmation selon laquelle rien ne changerait pour les chaînes suisses et que l’on se contenterait de mettre les acteurs étrangers sur un pied d’égalité est fausse et induit les électeurs en erreur», a-t-il relevé.
La chaîne 3+ devrait par exemple à l’avenir verser à elle seule un montant à six chiffres aux cinéastes indépendants. En outre, les chaînes devraient céder 4% de leurs recettes brutes même pendant les années de perte opérationnelle. Cela signifie des suppressions d’emplois et des restructurations.
Le référendum a été lancé par les Jeunes libéraux-radicaux, les Jeunes UDC et les Jeunes Vert’libéraux. Il est aussi soutenu par les jeunes du Centre du canton de Zurich, ainsi que par le PLR et le Parti pirate. Le forum suisse des consommateurs, l’USAM, Telesuisse, l’Association suisse des télévisions privées, Aktion Medienfreiheit (Action liberté des médias) et Suisse Digital s’opposent également à la nouvelle loi.
ATS
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