
L’émir n’est pas le seul à posséder un palais et, sans pain, les jeux sont orphelins. Alors pour alimenter cette chronique, revenons à l’essentiel: la bouffe. Même si pas grand-chose n’y pousse en dehors des palmiers dattiers et des légumes sous serres, on mange très bien au Qatar. Heureusement, parce que se ronger les ongles en attendant que son équipe prenne la pâtée ou boive la tasse, nourrir un doute féroce à propos d’une Cène litigieuse (la balle était-elle sortie?), ça ne sustente personne.
L’exquise nouvelle, lorsque la population d’un pays se compose de 90% d’immigrés, c’est qu’il y en a pour tous les goûts; et pour pas cher vu le salaire moyen de l’ouvrier (1000 rials, soit moins de 300 francs). Hors des chantiers battus et pas si loin de restaurants européanisés au nom de la nostalgie des bides en exil, où penne à la sauce Alfredo, cordons-bleus de dinde trépanée et frites molles ne font pas rêver, on trouvera de formidables tables indo-pakistanaises, syriennes, libanaises, irakiennes ou géorgiennes.
Entre shawarmas de compète et houmous d’élite, divines moussakas d’aubergine et taboulés de maboul, genoux de mouton et fines tranches de rigolade, l’esprit curieux a de quoi se l’ouvrir, l’appétit. On apprend ainsi que le shakira est un plat traditionnel arabe; une soupe au yogourt où baignent des morceaux de viande non identifiée – rien à voir avec le silicone carné.
Après avoir mis les pieds dans le tajine avec une crudité aussi indigeste, comment enchaîner? En allant taper la cloche chez Alain Ducasse! Le maître queux propose, au cinquième étage du Musée des arts islamiques, une alléchante version de sa cuisine méditerranéenne aux subtils accents orientaux. On n’aurait pas craché sur son cœur de chou à la pistache, sa langouste bleu tandoori ou son bœuf wagyu aux herbes. Mais notre seule fenêtre disponible rimait avec un festin privatisé, à l’entrée duquel des yeux noirs disaient, en substance, «Ducasse-toi d’ici.»
Retour à la vraie vie, l’autre soir après Argentine-Pologne, avec une scène désolante, à finir ballonné. Alors qu’un excellent poisson grillé n’attendait qu’eux à 80 mètres de là au prix d’un menu-soda, plusieurs centaines de supporters trépignaient devant le plus fameux des fast-foods. Il y a des jours où le monde n’est décidément pas dans son assiette.
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Mirages – Chronique du Qatar – Dinde trépanée et silicone carné au menu
Dans les restaurants de Doha, l’offre culinaire regorge de saveurs insoupçonnées.