Du mythe du Peuple trahi au cauchemar de Macron
Robert Ayrton commente le phénomène «Gilets jaunes».
Le «cauchemar de Macron», titrait récemment en une l'hebdomadaire britannique «The Economist». À voir le nombre de manifestants à Paris samedi dernier, le mouvement des «gilets jaunes» s'essouffle. Par lassitude, par dépit, à cause du froid, de l'attentat terroriste de Strasbourg, ou parce que le «nouveau contrat pour la nation», annoncé par Emmanuel Macron à la onzième heure, aura tout de même divisé les contestataires. Le cauchemar de Macron n'est peut-être pas fini pour autant. Ni pour lui ni pour ses successeurs. Tout au début, on a pensé que la crise des «gilets jaunes» n'était qu'une affaire de prix à la pompe. Puis de pouvoir d'achat en général. Mais les revendications ont pris le chemin d'une liste à la Prévert: abolition du chômage, augmentation du SMIC, suppression du Sénat, interdiction du glyphosate, aides aux écoles, aux crèches, à la psychiatrie.
Un tel déferlement de doléances n'est peut-être, en fin de compte, que la nouvelle manifestation d'une vieille rancœur tapie au fond de l'histoire de la République depuis ses débuts tourmentés. Elle est née de la tension perpétuelle, jamais résolue en France, entre deux conceptions politiques: la démocratie «pure» à la Rousseau contre la démocratie représentative à la Sieyès. Comme toutes les nations, la France a ses mythes. Ici, c'est celui du Peuple avec un grand «P» dépossédé de sa souveraineté par des élites qui l'ont trahi. En 1794, le mouvement des sans-culottes parisiens, incarnation du Peuple, a connu son court moment de gloire, où ses meneurs ont pu imposer leurs exigences à une Convention tétanisée. On connaît la suite: le mouvement a été neutralisé dans le sang et ce fut la victoire définitive du principe de la démocratie représentative.
«La violence insurrectionnelle serait légitime, le bras armé d'une démocratie sans-culotte»
Ce mythe est porteur d'une idée subversive. Face à la surdité du pouvoir, le Peuple aurait un droit d'insurrection, une violence légitime, soustraite de plein droit à la sanction pénale. Elle constituerait le bras armé de cette démocratie sans-culotte sans cesse étouffée, la seule fidèle à la volonté populaire. Cette violence d'«en bas» ne serait que le miroir d'une violence d'«en haut», celle aujourd'hui des flibustiers du CAC 40, des milliardaires et leurs planques offshore, cautionnée par Macron, «président des riches».
Emmanuel Macron n'a plus le choix. Ce ne sont pas de seules mesures touchant au SMIC ou aux retraites qui pourront éviter un nouveau séisme populaire. Il doit prendre au sérieux une revendication sur laquelle il est resté peu disert: une «démocratie participative». Vaste programme, aurait dit de Gaulle.
Pour son malheur et sa défense, Macron a été propulsé à la tête d'un grand pays complexe où l'État, après des siècles de centralisation régalienne, est devenu le dépositaire de toutes les attentes et donc forcément cible de toutes les rancœurs, par définition jamais satisfaites. La France est belle, mais ingouvernable.
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