Les prix de l’électricité en Europe sont-ils aussi absurdes que ce que hurle la vox populi? Les Bourses où s’échangent les électrons ont-elles fait la démonstration de leur inutilité, voire de leur incapacité à répondre aux besoins des consommateurs?
Bref, faut-il, comme la Suisse parlementaire s’apprête à le décider, s’éloigner une fois pour toutes de la libéralisation et préférer le retour au bon vieux modèle du monopole? Enfin, faut-il taxer les superprofits des acteurs de l’énergie?
Contrairement aux apparences, le marché fonctionne! Par les prix, il nous signale que l’Europe (Suisse comprise) est dramatiquement dépendante du gaz russe (qui va se tarir), que le nucléaire français, cette assurance pour l’hiver, n’est pas fiable et que nous avions promis d’investir dans les énergies renouvelables mais que nous ne l’avons pas fait!
Si le signal des prix du marché n’existait pas, nous affronterions cet hiver une crise énergétique sans aucune forme d’alerte; soit un krach comparable à la crise pétrolière de 1973-74 quand le prix du baril de pétrole quadrupla du jour au lendemain… faute d’anticipations spéculatives. Le marché n’est donc pas si stupide; il cible correctement les vulnérabilités de la France: les contrats futurs pour 2023 ont atteint 2500 euros le mégawattheure au plus fort de l’incertitude entourant la capacité du nucléaire à redémarrer avant l’hiver, soit multiplié par 50 par rapport à son prix en 2020. Ces prix si élevés ont déclenché des demandes de garantie exceptionnelles, obligeant la Confédération à ouvrir une ligne de crédit de 4 milliards de francs pour sécuriser les liquidités de l’électricien Axpo.
«Il ne faut donc pas s’en prendre aux prix mais augmenter l’offre et réduire la consommation.»
Cette dérive des prix s’explique. Les cours «spot» de l’électricité (prix pour une livraison immédiate) sont indexés sur ceux du gaz; ils reflètent la pénurie immédiate à venir mais ignorent le fait que les prix de revient du nucléaire, de l’hydroélectricité et des renouvelables sont beaucoup plus bas. Ce défaut dans la conception des marchés de l’énergie est connu depuis très longtemps. Il va être corrigé sous l’impulsion de la Commission européenne.
Sans entrer dans trop de détails techniques, Bruxelles propose de mettre un plafond aux prix spot et de réformer la manière dont se nouent les contrats à plus long terme, contrats qui permettent de lisser dans le temps les hausses et les baisses du marché. Il s’agit également de créer des instruments financiers qui incitent les entreprises à investir dans des capacités de production. Les prix trop bas – qui ont largement profité aux consommateurs comme vous et moi – ont dissuadé les sociétés d’investir. Il ne faut donc pas s’en prendre aux prix mais augmenter l’offre et réduire la consommation!
Reste la question d’une taxe sur les superprofits. Elle est légitime. Alors que les consommateurs subiront une hausse des prix, les acteurs de l’énergie feront des bénéfices exceptionnels en encaissant les dividendes de leurs barrages ou centrales électriques dont les coûts de revient sont largement inférieurs aux prix spot du marché. Ceux-ci seront évidemment taxés, mais faut-il prélever une taxe supplémentaire quand il est démontré que ces bénéfices sont hors norme? Sans doute.
Mais ce serait une erreur de les redistribuer aux consommateurs! Les superprofits doivent être investis dans la production, éventuellement alloués aux ménages les plus vulnérables. Stopper la libéralisation? C’est s’éloigner du marché et du signal des prix, un outil indispensable pour investir et stimuler l’innovation. Imaginer la Suisse se couper du marché électrique européen serait une pure folie économique et technologique. Au contraire, nous avons plus que jamais besoin de l’Europe et de son marché!
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
Briefing – Électricité: le marché a toujours raison!
Les prix reflètent une vraie pénurie. La libéralisation n’est pas coupable.