Lützerath, dix maisons sur Google Map, symbole de la lutte contre le charbon, sera rasé. Garzweiler, la plus grande mine de lignite à ciel ouvert outre-Rhin, jugée nécessaire pour se passer du gaz russe, sera étendue. Les manifestations violentes de ces derniers jours, le battage médiatique autour de Greta Thunberg évacuée par des policiers antiémeutes n’y changeront rien. Lützerath a vécu.
Au-delà de l’amertume, ces images m’en ont rappelé d’autres, qui ont tenu en haleine les ados de ma génération. Au début des années 1980, l’Allemagne décide d’entreposer ses déchets nucléaires à Gorleben en Basse-Saxe, à un jet de pierre de la frontière de la RDA. S’organise alors une résistance inconcevable pour l’époque: des centaines de milliers d’Allemands manifestent, les jeunes s’enchaînent aux transports «Castor», scient les rails, bloquent les convois. Nous suivions le feuilleton chaque soir à la télévision. Géologiquement controversé, politiquement contesté, le site sera finalement abandonné, après une lutte de quarante ans…
«Face à des pays historiquement plus résistants à l’écologie comme la France, la conscience allemande est souvent citée en exemple européen.»
On ne peut pas comprendre la force du militantisme écologique allemand sans Gorleben. Imaginez, en 1983, en pleine guerre froide, des militants de la cause ont campé dans le no man’s land entre les deux Allemagnes, sous le regard médusé des gardes de la frontière la plus dangereuse d’Europe. L’incident aurait pu mal tourner. Il a ouvert les yeux à beaucoup d’Allemands. Même dans ma famille, loin des traditionnelles engueulades entre étudiants gauchistes et banquiers qui votaient CDU, Gorleben et la peur du nucléaire mettaient tout le monde d’accord.
La jeunesse d’aujourd’hui s’est construite sur ce mythe de résistance. Lorsque je vais à Berlin ou à Munich, je vois tous les vendredis la même ferveur des grèves pour le climat qu’à leur lancement, alors qu’ailleurs, ces rassemblements se sont essoufflés. Face à des pays historiquement plus résistants à l’écologie comme la France, la conscience allemande est souvent citée en exemple européen. En 1980, la mort des forêts, le fameux «Waldsterben», est un terme né en Allemagne (et en Suisse), avant d’être repris dans d’autres pays.
Des dirigeants traités de vendus
Mais cette jeunesse est aussi de plus en plus déconnectée avec son parti politique – Alliance 90/Les Verts – qui, depuis son entrée au gouvernement, avale les couleuvres. La base accuse les dirigeants d’avoir vendu leurs âmes à la gauche et aux libéraux. Face à l’urgence de la guerre, ils acceptent l’achat du gaz américain extrait par fracking, cèdent sur la relance de centrales à charbon. Lützerath, c’est un deal entre le ministre de l’Économie, l’écologiste Robert Habeck, et l’exploitant de la mine RWE.
«Les ministres, on les a perdus», m’avouait l’été passé une activiste sous la Porte de Brandenbourg, point de ralliement des Fridays for Future. L’ambiance était festive, les drapeaux ukrainiens flottaient au vent. Ironie du sort, cette guerre pourrait bien faire imploser les Verts allemands.
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La rédaction – En Allemagne, sois Vert et tais-toi
La lutte contre l’extension de la mine de charbon de Lützerath crée un gouffre entre les militants écologistes et les dirigeants du parti, accusés de trahison.