«En quarante-huit ans, je n'ai manqué que deux Art Basel»
Doyenne de la plus grande foire d'art contemporain du monde, la Lausannoise Alice Pauli fait partie des rares galeries à être sélectionnées depuis les débuts.

enthousiasme des hyperactifs, totalement habités par leur métier, la galeriste Alice Pauli le déploie sans relâche depuis les années 60. Un œil balayant tout ce qui touche à son activité. Une énergie fatiguant les plus jeunes. Et sa perspicacité comme stimuli! Samedi, dans sa galerie du Flon à Lausanne, l'infatigable qui ne dit, ni ne fait son âge n'attend qu'une chose… partir à Bâle. «Deux camions pleins à craquer» l'ont déjà précédée, elle l'annonce en ouvrant la porte, tourbillonne, on dirait qu'il s'agit de son premier Art Basel. C'est son 46e!
Avec la fierté d'être du noyau des débuts, en 1971, autour du fondateur Ernst Beyeler – «je n'ai manqué que 1994 et 1995, mon fils venait de décéder» –, la fierté, aussi, de recevoir année après, le crédit d'un jury refusant plus de 1000 prétendants pour n'en conserver que 291. La fierté surtout de faire valoir ses artistes. Pierre Soulages, le peintre de l'Outrenoir qui vaut désormais 6,6 millions de francs et qu'elle représente à Bâle depuis 1987. Giuseppe Penone, le sculpteur invité à créer pour l'ouverture du Louvre Abu Dhabi et qui vient d'ériger Feuilles de pierre sur une place de Rome. Eux ne seront pas là, mais l'esthète, oui, à l'affût du bonheur des rencontres avec les 100 000 visiteurs attendus jusqu'à dimanche à Bâle. «Des moments très précieux! Mais je crois que les artistes n'aiment pas trop entendre les discussions autour de l'argent, par contre, ils tiennent à connaître le nom des acheteurs. Et, allez savoir, si certains plasticiens ne viennent pas incognito.» Peut-être… mais sûrement pas Anselm Kiefer. Allergique aux foires, l'Allemand avait fait promettre l'année dernière à la Lausannoise de ne pas y emporter l'œuvre acquise à l'issue de sa rétrospective viennoise. Elle est désormais au Musée cantonal des beaux-arts, cadeau!
Alors non, rien n'a changé dans le monde d'une galeriste qui fait autorité depuis plus de cinq décennies, pas même sa réserve. Passionnée mais si économe de ses commentaires personnels, Alice Pauli préfère en rester à cette fierté d'occuper un grand 60 m2 dans le saint des saints de l'art contemporain les six prochains jours. Une 48e édition qui s'ouvre dans un climat propice, le marché de l'art reprend son souffle relancé par les performances des enchères printanières à New York – avec Basquiat entré dans le club très fermé des peintres valant plus de 100 millions de dollars.
Bâle se construit avec les artistes
«Art Basel, ce n'est pas six jours, mais une année de préparation, glisse la galeriste. L'erreur à ne pas commettre, c'est d'y aller deux fois avec la même pièce. C'est très sérieux vous savez, le jury de la foire veille.» Alors Alice Pauli passe commande à ses artistes, même à Giuseppe Penone: «Je l'ai appelé, je lui ai dit, Giuseppe, il me faut une belle pièce pour Bâle, il me fait chaque fois quelque chose de très différent, et au fil de toutes ces années de collaboration, c'est cette capacité de renouvellement continuel chez chacun d'eux qui me frappe et me touche.» Intuitive, la grande dame de l'art a aussi besoin de savoir, alors elle téléphone; elle a besoin de voir, alors elle se déplace, pousse la porte des ateliers à Paris comme à Turin, motivée par ce besoin viscéral de suivre le processus de la création: «Bâle se construit avec les artistes!»
Bâle se construit, aussi, avec l'actualité. Décédé en 1976, Mark Tobey, l'abstrait américain est aux cimaises de la Peggy Guggenheim Collection de Venise pour un hommage et, dans la halle 2 avec Alice Pauli, prévu sur toute une paroi. «Je l'ai connu lorsqu'il a choisi d'habiter la cité rhénane et s'il se réfugiait chez moi à Carnaval, il venait tous les soirs à Art Basel, sur le stand pour l'apéritif. C'était un grand monsieur, je me réjouis de le présenter cette année.» Pour le peintre de la beauté pure, comme pour Pierre Soulages – à 97 ans, l'artiste a ralenti son rythme – la galeriste puise dans ses propres fonds mais garde le secret de son bagage bâlois jusqu'à mardi, 11 heures, l'heure à laquelle les collectionneurs qui comptent sont autorisés à arpenter les 27 500 m2 du plus grand musée du monde à l'abri de tous les regards. «Comme beaucoup conservent leurs possibilités financières pour Bâle, un creuset inégalé de la diversité, certains essaient de savoir, ils téléphonent, mais c'est non! Pensez que je n'ai vu qu'en photo les presque quatre mètres de la sculpture de Penone, à peine terminée, elle a été envoyée directement là-bas.»
Le choc déclencheur
L'inflexible ne l'a peut-être pas vue, par contre, elle a déjà une petite idée de son emplacement futur: «Je sais à peu près qui pourrait l'acheter», souffle-t-elle avec autant de malice que d'expérience. «Ce choc» déclencheur, Alice Pauli le connaît si bien! «Au début, il a rimé avec frustration: j'avais fait Lucio Fontana à la galerie, mais je n'avais pas les moyens d'acquérir. Ensuite j'ai dû vendre pour acheter et, enfin, j'ai pu monter un ensemble mais en laissant toujours la priorité aux autres collectionneurs.» Femme de principe, la doyenne d'Art Basel goûte désormais à la liberté de faire de ses intransigeances une exigence. «Bien sûr qu'on y rencontre des spéculateurs comme de plus en plus de courtiers qui ont pour mandat d'acheter, mais j'ai cette chance de choisir désormais à qui je vends, par exemple, les Soulages.» Le dernier coup de marteau à 6,6 millions pour une huile de l'homme qui peint la lumière dans le noir ne devrait pas faire grimper la fièvre, Alice Pauli en est convaincue. Elle qui sait se tenir hors du brouhaha des records. «C'était une pièce ancienne et comme elles sont rares sur le marché, elles attirent les spéculateurs, d'ailleurs, les miennes, je ne les vends pas.» Mieux… elle donne, le Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne peut en témoigner.
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