La transition énergétique prend enfin son essor. L’agression de la Russie contre l’Ukraine et le risque de pénuries de gaz ont donné un coup d’accélérateur sans précédent dans l’histoire, comme l’a souligné le directeur de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), Fatih Birol. Jamais le rythme de croissance des nouvelles énergies n’aura été aussi important, partout sur la planète, y compris en Suisse.
Cette soudaine poussée reste insuffisante, mal coordonnée et très peu anticipée par les États. Il manque l’essentiel, la méthode. L’Europe affiche ses ambitions avec ses plans d’investissements mais elle peine à créer un marché dynamique. Elle dispose certes d’une législation avec les crédits carbone alimentés par les taxes. Les principaux intéressés, les industriels, disent n’avoir encore aucune assurance dans la durée et se heurter à des procédures complexes et trop lentes. Les États-Unis, qui avaient pris l’avantage avec l’administration Carter (plan solaire), puis fait machine arrière sous Reagan, accéléré avec Obama puis tout stoppé avec Trump, reviennent avec un plan massif et très simple. Avec des centaines de milliards de crédits-impôts, des chèques versés aux industriels, ils stimulent le marché en subventionnant la recherche et les grandes infrastructures. C’est très contestable du point de vue de la concurrence mais ça marche: le pays est redevenu le marché où tout semble possible. Et surtout, le continent américain pourra devenir autonome en minerais stratégiques et réduire sa dépendance avec la Chine, le premier fournisseur mondial des technologies vertes.
«Jamais le rythme de croissance des nouvelles énergies n’aura été aussi important, partout sur la planète, y compris en Suisse.»
L’UE semble avoir compris la leçon. Elle veut compléter ses programmes d’impulsion en investissant dans les métaux stratégiques, les batteries et financer des réseaux d’hydrogène, le vecteur énergétique qui permet de stocker et déplacer d’énormes quantités d’électrons sous forme chimique. Elle propose un fonds commun mais se heurte déjà à l’Allemagne qui semble vouloir financer seule une transition qu’elle a rendue urgente et périlleuse avec ses dépendances excessives avec la Russie et ses partenariats industriels chinois. Pour la première fois, la Commission met sur la table la possibilité d’assouplir les aides d’État.
C’est un pas important, Complexe à gérer dans un marché de l’énergie européen qui a surmonté les pénuries récentes mais qui n’a toujours pas les outils pour créer un cadre d’investissements qui donne des garanties à long terme. Le plan américain y parvient par son effet d’aubaine, en subventionnant directement les producteurs d’énergie verte et l’industrie des batteries. Et la Suisse? On parle beaucoup de l’énergie solaire en hiver, à juste titre.
Mais ici encore, ce n’est pas le plus important. La Suisse doit mettre en place une stratégie de stockage des surplus d’énergie verte en été en utilisant l’hydrogène, les gaz synthétiques neutres en carbone, construire des réseaux intelligents (les fameux «smart grids»), récompenser plus fortement les investissements visant la sobriété énergétique. Bref, assembler un puzzle de technologies bien maîtrisées dans les hautes écoles. Historiquement, la Suisse a su le faire quand elle a décidé d’électrifier les chemins de fer dans les années vingt, pour réduire sa dépendance au charbon allemand et français. L’EPFZ, l’Empa, le PSI et l’EPFL à Lausanne, Neuchâtel et Sion disposent de toutes les compétences pour y parvenir. À condition qu’on les écoute un peu. La Suisse importe aujourd’hui 80% de son énergie de l’étranger. Au mieux, elle pourra baisser ses importations à… 50%. Notre nouvelle souveraineté énergétique exigera d’augmenter la production d’électricité, d’avoir accès à de bonnes conditions aux surplus solaires, éoliens et à l’hydrogène vert venu d’Europe et des pays qui bordent la Méditerranée. Bref, il faut rassembler les pièces pour boucler le puzzle.
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
La chronique économique – Énergie: les maillons manquants
On veut produire plus d’énergie solaire en hiver. C’est bien, mais ce n’est pas le plus important pour la sécurité du pays.