Cinéma suisse«Entre nous ça reste rock’n’roll»
Depuis dix ans, Chuat & Reymond donne la marque de fabrique d’un cinéma exigeant, humaniste et réel. «Les filles» en redonnent la preuve avec «Petite sœur».

Dix ans déjà depuis «La petite chambre», huis clos intime qui marquait l’entrée tonitruante de Véronique Reymond et Stéphanie Chuat dans le cinéma suisse. Après «Les dames», autre succès axé sur le réel, le tandem joue la rupture de ban. «Petite sœur» met en scène, entre Berlin et Leysin, des comédiens issus du théâtre, en allemand, discute de l’art face à la mort via un homosexuel agonisant du cancer du cerveau, couvé par sa sœur jumelle dans le déni, une dramaturge impuissante, épouse frustrée. Seule Marthe Keller en mère foldingue égaie ce théâtre où Shakespeare vient encore jouer les scénaristes. Bref, «les filles» comme le milieu du cinéma les surnomment, ne se pelotonnent pas dans la soie des certitudes. Explications.
Pourquoi cette radicalité dans «Petite sœur»?
Véronique Reymond: La chance de notre aventure, c’est de redémarrer toujours à zéro. Le désir passe avant la difficulté. Stéphanie Chuat: Ici, nous voulions travailler avec des acteurs germanophones, pour la forte physicalité dont ils innervent les personnages. La rencontre avec Nina Hoss a aussi cristallisé pas mal d’idées venues de la vraie vie: le théâtre de nos débuts, l’appartenance de ces comédiens à la Schaubühne de Berlin qui nous fascine, la possibilité de retrouver le metteur en scène Thomas Ostermeier.

C’est ainsi que le «Hamlet» d’Ostermeier s’est insinué dans le scénario?
S. C.: Tout à fait, il n’y a pas de schéma. Ainsi, quand Véronique écrivait, il y a eu dans mon entourage un cas de leucémie, ça a amené l’idée du frère malade. Puis ma mère a affronté un cancer foudroyant… La gémellité, elle, vient de notre duo.
Thomas Ostermeier juge obscène de montrer un acteur à l’agonie.
V. R.: Et il a fallu changer le scénario pour lui, il a exigé de spécifier cette position! S. C.: L’équilibre face à la souffrance a été dur à trouver, entre les théories et le concret… «Petite sœur» préfère souvent l’allusion.

D’où vient, par exemple, la philosophie du gâteau cramé?
V. R.: De ma grand-mère! Ses gâteaux gardaient un petit goût cramé sous le camouflage de leurs gros glaçages. Ces détails du quotidien permettent d’éviter les grands discours. À travers un Apfelstrudel, tout est dit sur cette mère qui picole un peu beaucoup, n’arrive pas à dire «je t’aime».

Vous filmez d’ailleurs l’homosexualité, une première. Influence berlinoise?
V. R.: Face au corps malade, il y a cette envie de se sentir vivant. Et rien de mieux que le sexe pour toucher à la vie pure.
C’est votre côté vieux couple qui assure?
V. R: Difficile de détricoter la nasse des idées. Plus jeunes, c’était très important pour nous de marquer la propriété des intuitions, tous ces «moi je»… Nous faisions attention à la durée de nos temps de parole! Au fil du temps (ndlr: elles se fréquentent depuis l’âge de 10 ans), nous avons compris que la complémentarité apportait plus que l’égalitarisme.
Mais est-ce d’être deux qui sauve sans cesse la nuance?
V. R.: C’est vrai que l’héroïne vit ses dilemmes, entre son art, ses enfants, son mari. Les mères sont des ordinateurs ambulants qui gèrent des agendas polyvalents, et avec le sourire! En tant que femmes, nous savons combien il est difficile d’éviter la culpabilité comme les hommes y arrivent si bien.
Où se situent vos «hommes» dans votre duo soudé?
V. R.: Nous avons chacune un compagnon, un appartement.
La vie à la cinquantaine, une tragédie ou une comédie?
S. C.: Je nous vois joyeuses mais conscientes de questions existentielles.

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