Rencontre avec Thomas B. ReverdyÉros en zone arctique
Tel un ours polaire sur une banquise vacillante, l’écrivain français fantasme pour se consoler du désastre. «Climax»…

Thomas B. Reverdy ne s’aventure jamais sans un solide bagage. La dernière fois, cet écrivain au teint pâle d’intellectuel parisien mais à la double boucle d’oreille de pirate conviait le barde Shakespeare et les Sex Pistols dans une embardée poétique en Angleterre. Après «L’hiver de mon mécontentement», Prix Interallié 2018, le voici au fin fond de l’Arctique avec «Climax», en lice pour le Prix Femina. Fini de rugir «No Future» avec le barde ou les punks, les ours polaires s’en chargent.

De passage au Livre sur les quais à Morges l’autre semaine, Thomas B. Reverdy se souvient du déclic de «Climax». Loin du produit d’un confinement morose, le roman s’est imposé. «Je rentrais d’un voyage en Suède, encore stupéfié par la lumière crépusculaire qui règne là-bas en novembre. Par réflexe, je me suis plongé dans des lectures et, évidemment, ces récits d’exploration m’ont mené toujours plus au nord et surtout dans les enjeux climatiques incontournables qui s’y matérialisent.»
«Je ne me suis pas laissé intimider par le sujet écologique.»
Le citadin agrégé de lettres ne se mue pas pour autant en militant acharné de la cause environnementale mais, sans crainte d’aller sur un terrain souvent miné par les messages pesants, développe une toile aussi délicate que le permafrost polaire. «Je me fie toujours à la forme romanesque, aux personnages. Je ne me suis pas laissé intimider par le sujet écologique.»
Comme un flocon de neige qui se désigne selon les dialectes de l’inuit à l’écossais par des dizaines de termes, la narration scintille dans un triple prisme. «Je ne l’avais pas prémédité, mais la zone géographique m’a poussé vers les légendes scandinaves. De là, mon seul point d’accès me semblait venir de Tolkien, et, peu à peu, tout un univers «fantasy» a surgi, enchaînant les registres.»

Donjons, dragons s’invitent dans ce texte envoûtant. Son héros, Noah, possède un pseudo, Sigurd. C’est aussi le nom d’une plateforme pétrolière qui a sombré jadis. Est-ce là, d’ailleurs, qu’est née la vocation de cet ingénieur? Quand l’enfant du pays revient sur les lieux du drame, il retrouve sa princesse Anå, son premier amour, et Anders, l’ami fidèle, lui aussi géologue. À la différence que Noah a oublié ses rêves et qu’Anders y croit encore.
«J’adorais, dans les années 1980, cette collection de poche, «Le livre dont vous êtes le héros», et je me suis amusé à jouer sur ces registres.»
À ce triangle se greffe un crépuscule des dieux cher à Wagner, avec la walkyrie Brynhildr, le divin Odin et même l’épée Gramr tueuse de dragons. Et des jeux de rôle qui invitent le lecteur, s’il s’en sent l’audace, à sauter un chapitre pour aller combattre. «J’adorais, dans les années 1980, cette collection de poche, «Le livre dont vous êtes le héros», et je me suis amusé à reproduire le procédé. Une gaminerie au départ… mais je me suis aperçu ensuite que cela provoquait un choix: allez-vous passer les pages, rester fidèle à la chronologie? Les gens me disent aujourd’hui que cela donne une autre épaisseur au récit.»
La petite crevette «Calanus hyperboreus»
Troisième stimulus dans «Climax», une documentation savante sur l’ours marin Ursus maritimus, la morue Arctogadus glacialis ou la petite crevette Calanus hyperboreus, soudés dans un écosystème en déroute. Loin de la coquetterie, cette manie de recenser les espèces rejoint un modèle cher à Reverdy. «J’avais en tête le «Moby Dick» de Melville, qui associe la chasse à la baleine et l’exposition scientifique, mythologique, encyclopédique de l’animal. C’est toujours l’idée d’expérimenter plusieurs techniques de savoir. Le roman autorise justement à toucher à tout, du lyrisme d’un poème lyrique à la sécheresse d’un rapport de police.»
«Un peu comme Umberto Eco quand il disait que chaque lecteur rentre dans un roman avec sa bibliothèque personnelle.»
Cette manière d’avancer en zone dangereuse cache-t-elle aussi la circonspection de l’écrivain face à l’émotion pure? «Je n’aimerais pas écrire n’importe quoi, c’est certain. Ces sous-textes me le confirment et créent des échos inattendus en moi. Un peu comme Umberto Eco quand il disait que chaque lecteur rentre dans un roman avec sa bibliothèque personnelle. La culture, pour moi, c’est ce truc qui existe avant et après nous. Mon livre y laisse ma petite trace.»
Une trace, plus qu’un héritage
Son grand-père Jean, proche de Le Corbusier, lui avait laissé une lettre posthume de plus de 9000 pages. Voit-il à son tour dans son travail d’écrivain une forme d’héritage? «Pas d’une manière aussi directe. Mais disons que donner comme ici, avec «Climax», le récit d’une catastrophe comme si elle était déjà arrivée, et non pas comme si elle était imminente, c’est ma forme d’engagement.» À lire donc de toute urgence.
«Climax»
Thomas B. ReverdyÉd. Flammarion, 334 p.
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