Cette fois, le doute n’est plus permis. Les États comprennent que la sécurité énergétique est primordiale en cas de crise. L’impuissance de l’Europe à sanctionner durement la Russie s’explique par la dépendance de l’Allemagne et de l’Italie au gaz et par une gestion de plus en plus périlleuse des gisements d’uranium du Kazakhstan et du Niger qu’exploite la filière nucléaire française, encerclée par les troupes Wagner du président Poutine au Mali.
Alors que faire? Viser l’autarcie? Diversifier ses sources? Avant tout chose, essayons d’imaginer le monde de demain, une transition énergétique réussie, appliquée à la Suisse. Les chercheurs de l’EPFL (Sion) et de l’Empa (Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche)* se sont posé une question, a priori, simple.
Quels seraient les moyens nécessaires à mettre en œuvre pour produire toute l’énergie (100% renouvelable) dont la Suisse a besoin? Et, quels en seraient les coûts?
Dans cette hypothèse, la production d’électricité vise non seulement à couvrir la production actuelle (part nucléaire comprise) mais également toute l’énergie fossile consommée en Suisse (essence, mazout, gaz); énergie importée à hauteur de 80% en 2022.
Sans entrer dans tous les détails, il en ressort que l’électrification complète du système énergétique suisse serait le plus efficace; il nécessiterait une surface de cellules photovoltaïques couvrant trois fois la surface des toitures suisses, des batteries dans chaque maison et la construction de trois nouveaux barrages comme la Grande-Dixence.
L’impact sur l’environnement serait important. Économiquement, l’affaire serait intéressante, puisque le coût d’un tel système serait comparable à ce que nous dépensons aujourd’hui. Et, nuance importante, ce modèle n’émettrait plus de gaz à effet de serre!
Les chercheurs ont étudié deux autres scénarios, l’un utilisant l’hydrogène comme moyen de stockage et un deuxième remplaçant l’essence, le mazout et le kérosène par des carburants synthétiques. Dans ces deux derniers scénarios, les coûts sont plus élevés. Dans tous les cas, notre autarcie énergétique est garantie.
«Vouloir produire toute l’énergie que nous consommons en Suisse serait une pure folie technique en termes d’impact sur l’environnement et un non-sens au plan économique.»
Mais est-ce intelligent? Les chercheurs ne le disent pas. On le déduit: vouloir produire toute l’énergie que nous consommons en Suisse serait une pure folie technique en termes d’impact sur l’environnement et un non-sens au plan économique. Les régions très ensoleillées, proches de l’équateur, comme le Sahara seraient mieux indiquées pour produire les surplus d’énergie renouvelable dont nous aurons besoin en hiver.
C’est d’ailleurs la vision stratégique que déploie l’Allemagne avec son plan hydrogène (vecteur idéal pour le stockage ou la production de carburants synthétiques neutres pour l’environnement). Une telle stratégie suppose que les États aient confiance les uns en les autres et acceptent le principe d’échanges dans le domaine de l’énergie.
Ce n’est qu’à cette condition que l’on peut envisager une transition énergétique et écologique rationnelle. D’ailleurs, même la (petite) Suisse sait que ce serait pure folie que d’imaginer ne plus échanger de l’électricité avec ses voisins (nos barrages perdraient toute leur valeur).
À l’évidence, les énergies renouvelables permettront de réduire drastiquement les risques de dépendances aux énergies fossiles dont une part majoritaire est contrôlée par des régimes autoritaires et dangereux. Les pays et les régions continentales devront continuer à s’entendre pour produire là où c’est le plus raisonnable les immenses quantités d’énergie dont l’humanité a besoin. C’est l’arbitrage entre les coûts et les risques politiques qui sera décisif.
L’agression de l’Ukraine par la Russie accélère les discussions stratégiques sur l’énergie au sein de l’UE qui n’a pas suffisamment investi dans les technologies de stockage et diversifié ses zones d’approvisionnement. Vladimir Poutine a probablement perdu de bons clients, jusqu’ici très peu prudents, et va devoir se tourner vers une Chine très puissante mais beaucoup moins docile.
*Future Swiss Energy Economy: The Challenge of Storing Renewable Energy. Frontiers in Energy Research.
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Chronique économique – Est-ce intelligent de vouloir être indépendant?
La sécurité énergétique exige-t-elle une autarcie quasi totale? Ou ne serait-ce qu’une pure folie souverainiste?