Et si Davel n’avait pas existé… Aucun ajout de commémoration au calendrier historique vaudois, nulle obligation partisane d’instrumentaliser la «téméraire entreprise» du 31 mars 1723 selon la conjoncture. Dans les possibles du passé, le courant historiographique antibernois, grossi du Manifeste du rebelle, aurait été modéré plus tôt. Le nom du héros n’aurait pas fait le renom de tous les artistes qui l’ont commenté, peint ou sculpté, théâtralisé et poétisé. Juste Olivier n’aurait pas été autant lu, Charles Gleyre aussi admiré, Henri Druey si charismatique.
Circonscrit aux dates emblématiques et à une galerie de personnalités, Vaud aurait pâti du manque d’une figure héroïque, exclusive depuis 1842, idéologisée par tous les partis politiques, fédérant par sa foi virile deux Églises protestantes fracturées derrière la même liturgie, reconnu comme soldat chrétien par les catholiques.
«Dans les périodes troubles, qui aurait pu apaiser les craintes et cimenter les liens?»
Le peuple ne se serait pas identifié à lui ni placé sous sa protection; il n’aurait pas chanté sa vision et sa fermeté d’âme. La devise «Liberté et Patrie» du drapeau vaudois depuis 1803 aurait été terne. Dans les périodes troubles, qui aurait pu apaiser les craintes et cimenter les liens?
La couardise des édiles lausannoises de jadis n’aurait pas entretenu les rapports distants entre la capitale et l’arrière-pays ni répété des actes expiatoires de ses représentants. Le dilemme entre servir Dieu et rester fidèle à LL.EE. n’aurait pas été tranché. Les statues publiques, l’apposition de plaques d’hommage, les désignations de pintes et de rues à Lausanne et en Lavaux ne s’imposeraient pas.
Et que dire du recours des Jurassiens à Davel, dans leur lutte contre Berne pour leur souveraineté cantonale, victimes depuis 1815 du marchandage de l’abandon définitif des territoires d’Argovie et de Vaud par leur ancien maître?
Éloges et demandes en révision
L’éloge de la réconciliation entre Vaud et Berne, par le président du Conseil fédéral, Karl Scheurer, d’origine bernoise, n’aurait pas marqué la première, le 19 mai 1923, du «Davel» de René Morax, à la Grange sublime, à Mézières. Le Conseil d’État n’aurait pas été confronté au suivi des demandes, en 1998, de la révision du procès de 1723 et, en 2021, de la réhabilitation de Davel. Amalgames et anachronismes auraient été évités.
En son temps, Davel n’avait pas d’espace public pour accuser. Aujourd’hui, on le lui offre.
En faisant de 2023 l’«Année Davel», le Conseil d’État n’abandonne pas son héros. Il reste toutefois discret sur son message politique. Si l’action de Davel se situe il y a trois cents ans, c’est la tradition et les recherches scientifiques qui l’ont façonné en héros au XIXe siècle et qui l’ont institutionnalisé et sanctifié au XXe siècle. De cette nouvelle étape dépend sa revitalisation ou son essoufflement. L’après 2023 nous le dira.
En complément à cette chronique, Gilbert Coutaz se demande si, en l’absence de Davel, la reine Berthe aurait pu devenir l’héroïne dont le canton de Vaud avait besoin: https://www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:7021729829737656320/
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L’invité – Et si Davel n’avait pas existé? Voyage en uchronie
Gilbert Coutaz imagine un monde sans le major vaudois rebelle.