Petite révolution dans les muséesFemmes, je vous expose!
De Lausanne au Locle, en passant par le Palais fédéral ou les centres d’art, les artistes femmes gagnent en visibilité un peu partout. Un effet post MeToo qui lutte pour ne pas être qu’une mode.

Le détail vaut son pesant de féminisme! En Suisse même si le GPS pointe sur la Hodlerstrasse pour indiquer l’adresse du Kunstmuseum de la capitale, il y a… un musée d’art qui habite chez une femme. Allez donc voir au Locle, le Musée des beaux-arts se trouve rue Marie-Anne Calame (1775-1835), fille d’un graveur et elle-même miniaturiste émailleur et portraitiste.
Opportuniste quand on veut parler de la visibilité des femmes qui s’accroît dans les musées, le rappel fait sourire Nathalie Herschdorfer, directrice de ce lieu parmi les plus ouverts, en Suisse, à la cause des artistes femmes. Le terme peut crisper. En son temps, il a même fait hurler Ferdinand Hodler, président de la Société suisse des peintres et sculpteurs qui ne voulait pas de «femmelettes» en son sein. Un siècle plus tard, la question de pose différemment: pourquoi devoir ajouter femme après artiste? Nathalie Herschdorfer, qui vient de signer le parcours dédié aux femmes de Paris Photo 2021, fait partie de celles qui y tiennent tant que la parité n’y est pas.
«Les mots sont importants, on sait à quel point le langage exprime quelque chose d’une société. Et en tant qu’historienne de l’art, je ne peux que rappeler qu’on ne perçoit pas le monde d’une façon neutre! Jusqu’à présent ce regard était masculin – le genre qui l’emportait – alors qu’on pensait qu’il était neutre. C’est pareil pour les institutions muséales, longtemps, elles ont représenté un monde occidental, blanc et masculin. Mais on est effectivement en train de bouger en Suisse, comme ailleurs, avec, clairement un avant et un après #MeToo.»

La puissante galerie Hauser& Wirth n’a montré que des femmes à Art Genève en 2019, le Musée de Baltimore n’a acquis que des œuvres de femmes en 2020 et mis une vingtaine d’expositions à leur crédit. Et Paris (qui montre en ce moment Georgia O’Keeffe à Pompidou, royaume des stars de l’art) prend le relais l’année prochaine avec les femmes des années folles. Alors que jusqu’au 2 janvier, c’est la Fondation Beyeler qui se fait remarquer avec «Close Up», où neuf peintres et photographes affirment leur art du portrait.
«On n’a pas choisi ces femmes en raison de leur genre, mais pour leur contribution importante à la représentation de l’image humaine.»
«On ne les a pas choisies en raison de leur genre, assure le directeur Sam Keller, mais pour leur contribution importante à la représentation de l’image humaine.» Sauf qu’avec son sens de l’expo qui sait séduire, difficile de ne pas croire que le musée d’art le plus visité de Suisse n’a pas également humé l’air du temps. «On a l’habitude de montrer les meilleurs et, parmi les meilleurs, il y a des femmes. Mais, avance encore Sam Keller, on peut et on doit encore mieux faire.»
Une vigilance constante
Écho aux débats du monde, bonne intention ou souci réel, le mouvement général peut vite… tourner à l’effet de mode. «C’est un risque, admet la galeriste lausannoise Fabienne Lévy. Mais il ne faudrait vraiment pas, d’autant que les modes passent. Cette nouvelle visibilité est fantastique, elle pourrait l’être encore plus, mais sans que cela tourne à l’obsession.» C’est une femme, qui n’a exposé que des femmes cette année, qui le dit! Le fait du hasard et de tout autant de coups de cœur… «J’ai eu envie de défendre leurs regards sur un monde qui change, déconcertant, et c’est leur talent que j’ai considéré avant tout. Et je le dis comme galeriste dans un milieu encore assez masculin.»

L’exact contraire des écoles d’art ou des facultés d’histoire de l’art, où Philippe Kaenel, professeur à l’UNIL doit argumenter face aux étudiantes qui croient de plus en plus relever un déficit de visibilité des artistes femmes dans les cours. «Quand on parle de certaines périodes, ce déficit est non seulement culturel mais aussi historique.» Tout comme dans un autre sens du terme, la nomination de Laurence des Cars à la tête du Louvre, une première en 228 ans d’existence du plus grand musée du monde.
«Même moi, en tant que femme et féministe, je dois rester attentive sinon mes programmations pourraient tourner au seul avantage d’hommes.»
«L’institution doit montrer l’exemple, reprend Nathalie Herschdorfer. Son rôle étant aussi celui d’une autorité dans la façon de promouvoir les artistes, leur émergence, leur carrière.» Certaines statistiques parlent du petit 26% d’expositions réservées aux artistes femmes alors que leur présence ne pèserait qu’un tiers dans les accrochages collectifs.

«Même moi en tant que femme et féministe, je dois rester attentive sinon mes programmations pourraient tourner au seul avantage d’hommes. Pourquoi? On s’est posé la question et c’est aussi parce que les femmes ont moins l’habitude de se vendre. À elles de faire aussi cet effort, à l’institution d’être curieuse: il faut que cette nouvelle visibilité s’installe.»
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