Flou artistique pour les artisans de la scène
Malgré les soutiens annoncés par l'État, les pros du spectacle craignent la galère mais se serrent les coudes. Témoignages.

Ils travaillent dans l'ombre pour confectionner des costumes et des perruques, concevoir des maquillages, construire des décors, créer des éclairages, des sons, des artifices pour donner vie aux spectacles. Comme les artistes, les artisans des arts de la scène subissent de plein fouet la crise du coronavirus, alors que leurs métiers sont déjà fortement précarisés. Si les mesures annoncées par le Conseil fédéral offrent un bol d'air bienvenu, leur champ d'application reste nébuleux.
«Tous mes mandats sont tombés jusqu'à fin mai», déplore Mario Torchio. Cet éclairagiste dans les domaines de la musique et du théâtre a déposé une demande de soutien lundi dernier, mais ignore ce qu'il peut en attendre. «Pour l'instant, je tourne à vide. J'arriverai à tenir si les aides financières tombent dans les semaines qui viennent. Par contre, je me fais beaucoup de souci pour cet été, car c'est la saison des grands festivals.» Ingénieur du son indépendant, Bernard Amaudruz est aussi dans l'expectative: «J'ai beaucoup de projets reportés, d'autres sont annulés. Mes salaires des prochains mois sont annulés aussi!» Même complainte chez Marie* (prénom d'emprunt), professionnelle de la création lumières: «Je n'ai plus de travail depuis l'annonce de la fermeture des théâtres. Je vais probablement devoir vivre un moment sur mes réserves, confie-t-elle. Heureusement que j'ai un loyer très bas et que j'ai toujours organisé ma vie pour tenir en cas de coup dur. Mais je connais des gens qui craignent de ne pas pouvoir payer leur appart.»
«Phase expérimentale»
Certains d'entre eux ont déjà sollicité la manne étatique pour sortir la tête de l'eau. D'autres naviguent à vue. «Je ne sais pas où trouver les informations, confie Marie. Une de mes employeuses m'a proposé d'entamer la requête pour moi.» Il faut dire que les démarches s'enfilent dans des méandres bien sinueux. «On attend encore des précisions. La mise en place de ces soutiens est encore très floue», souligne Carmen Bender, secrétaire générale d'artos, association des professionnels de la scène culturelle romande. «Attention, phase expérimentale!» lit-on également sur le site internet infoscenes.ch, créé pour aiguiller les professionnels dans leurs démarches (lire encadré).
De nombreux théâtres et compagnies ont honoré les contrats, du moins en partie. Dans d'autres cas, les décisions restent en suspens. Les professionnels jonglent entre incertitude et espoir. Maquilleuse et perruquière, Viviane Lima voit une partie de son activité impactée par les annulations. «Trois projets sont touchés, dont deux spectacles. L'un des metteurs en scène a eu l'élégance de me défrayer et m'a payé une semaine de travail. L'autre ne m'a encore rien proposé pour le moment, je suis dans l'attente.» Mais elle reste philosophe: «Je vais devoir me serrer la ceinture, mais je ne suis pas dans une situation où je ne sais pas ce que je mangerai le mois prochain.»
Marianne Caplan, elle, ne chôme pas. Administratrice de plusieurs compagnies, elle accompagne ses protégés dans des démarches on ne peut plus délicates. «Certaines compagnies sont à flux tendu. Le temps que les indemnisations soient versées, elles n'ont pas forcément de trésorerie pour avancer des fonds si des cachets tombent à l'eau ou sont reportés.»
Tirer à la même corde
Tous s'accordent à dire que les mesures annoncées par le Conseil fédéral sont accueillies comme un bol d'air frais. Marianne Caplan l'affirme: «Sans ces soutiens, on fonçait droit dans le mur.» En deux mots, les professionnels des arts scéniques peuvent profiter des mesures générales annoncées par le gouvernement (indemnisations pour les indépendants, recours au chômage partiel et aide aux entreprises sous forme de liquidités), mais aussi de mesures spécifiques destinées aux acteurs culturels (aides d'urgence et indemnisations des pertes financières). Cantons et Communes mettent eux aussi la main au porte-monnaie. La Ville de Lausanne «maintient ses subventions en cas d'annulation ou de report».
Artos, qui avait très vite tiré la sonnette d'alarme, applaudit ces décisions mais reste néanmoins sur le qui-vive. «Nous avons été entendus par la Confédération, mais nous ne sommes pas entièrement satisfaits», reprend Carmen Bender. Car plusieurs points restent en suspens: «Le plafond de 3320 fr. fixé pour les PME est trop bas, déplore-t-elle. Et nous espérons que les réductions de l'horaire de travail seront rétroactives, car les professionnels sont impactés depuis le 28 février.» L'association a également demandé de l'aide pour la formation des apprentis.
En attendant des jours meilleurs, la solidarité l'emporte dans ce microcosme aguerri aux déboires pécuniaires et au système D. «On parvient à trouver des solutions, des entre-deux, relève Marianne Caplan. Il faut que tout le monde tire à la même corde pour limiter la casse.» Mais il faudra des mois pour jauger l'efficacité des mesures. Car les incertitudes planent aussi sur l'après-crise. Mario Torchio résume: «Mes contrats déjà fixés sont maintenus, mais aucun autre ne se profile. On est en stand-by.»
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
Cet article a été automatiquement importé de notre ancien système de gestion de contenu vers notre nouveau site web. Il est possible qu'il comporte quelques erreurs de mise en page. Veuillez nous signaler toute erreur à community-feedback@tamedia.ch. Nous vous remercions de votre compréhension et votre collaboration.