Balades littéraires en altitudeHier comme aujourd’hui, la montagne nourrit la littérature
Un beau livre conjugue itinéraires sur les sommets et textes anciens et contemporains, de Goethe ou Hugo à Marc Voltenauer, en passant par Ramuz.

Longtemps, les écrivains ont arpenté les sommets en quête d’exotisme, de pureté et d’élévation morale. Aujourd’hui, les cimes restent une source d’inspiration privilégiée, pour des raisons différentes. Dans «Lignes de crêtes - Promenades littéraires en montagne», les chercheurs Daniel Maggetti, Stéphane Pétermann et la journaliste Florence Gaillard proposent 20 balades pour mettre ses pas dans les mots des écrivains.
Le livre offre une multiplicité de regards qui se sont posés sur ces chemins de roche tantôt abrupts, tantôt émoussés parfois spectaculairement par l’érosion. Des mots posés du XVIIe siècle à nos jours par des auteurs d’ici et d’ailleurs. Entre exaltation au sommet, déception aussi parfois, et pas de côté des auteurs contemporains. En complément, l’ouvrage réalisé en collaboration avec l’Institut de géographie et de géologie de l’UNIL offre des éclairages accessibles et passionnants sur divers phénomènes géomorphologiques.

De cette multiplicité des points de vue naît un corpus unique, à arpenter à la force des mollets, comme l’ont pratiqué les auteurs du livre, ou confortablement installé dans son fauteuil. L’occasion de se rappeler comment a évolué cette littérature des sommets. Interview de Daniel Maggetti, directeur du Centre des littératures en Suisse romande à l’UNIL.
Composer un corpus tiré de l’avalanche d’écrits sur la montagne en Suisse, un défi?
Il y a évidemment l’embarras du choix, on avait beaucoup plus de textes que les 130 retenus, par exemple sur l’Engadine. Nous n’avons pas toujours sélectionné les plus connus et nous avons limité les extraits d’auteurs prolifiques sur le sujet, comme Maurice Chappaz en Valais. Nous tenions à la variété des genres: roman, poésie, correspondance ou articles de journaux, et à présenter quelques inédits, dont un texte de Noëlle Revaz et une lettre de Catherine Colomb.

Pour les itinéraires, le choix était-il plus simple?
Vingt, c’est trop peu! Nous avons privilégié des promenades intéressantes en soi, avec des phénomènes variés du point de vue géographique, d’où notamment la présence du relief jurassien.
Le but n’était pas de rappeler uniquement la glorification romantique de la montagne?
Des textes de ce type sont légion, et cette dimension est récurrente dans bien des anthologies anciennes sur la montagne. Nous en donnons quelques-uns, de Rambert ou Javelle par exemple, en les mettant délibérément en contact avec d’autres regards.
Ce mythe alpin, on le doit d’abord aux voyageurs étrangers…
En effet, il s’est construit au moment où la découverte de la montagne coïncide avec la quête du sublime et la nostalgie d’espaces qui auraient échappé à l’emprise de la civilisation. Elle offre par ailleurs des expériences corporelles et des phénomènes frappants pour les sens, ce qui est particulièrement apprécié à l’époque romantique.
A-t-il fallu cela pour montrer aux Suisses ce qu’ils avaient sous le nez?
Les Suisses ont emboîté le pas aux visiteurs de passage, en accentuant la dimension morale de l’ascension, souvent chez eux une façon de s’approcher des sphères les plus pures, voire de Dieu. Échappant aux bassesses matérielles de la vie sociale en plaine, la montagne est aussi une valeur centrale du discours patriotique qui sous-tend les poésies et les chants de la fin du XIXe et du début du XXe.
Aujourd’hui, ces textes intéressent surtout les historiens…
Oui, on les appréhende surtout comme des manifestations permettant de retracer des aspects saillants de l’histoire culturelle et sociale de la Suisse.
Les auteurs contemporains écrivent aussi sur la montagne. Que représente-t-elle?
Le rapport à la montagne est à la fois plus sensoriel et réflexif, découlant d’un regard qui se veut neuf et assez immédiat, souvent par la transcription d’une expérience personnelle. Le roman policier actuel exploite quant à lui les potentialités du décor alpin. Mais certains textes dialoguent avec la tradition: à Lauterbrunnen, un Mikhaïl Chichkine est très conscient qu’il évoque les lieux après bien d’autres…
Dans les écrits, l’écoresponsabilité a remplacé l’éloge de l’effort…
Traditionnellement très présents, la verticalité, l’ascension, l’effort ont fait place à d’autres questionnements, car l’espace montagnard subit lui aussi des mutations sociales, culturelles et climatiques qui suscitent beaucoup d’interrogations, y compris chez les écrivains. Ils voient la montagne plus comme laboratoire possible de leurs réflexions que comme réceptacle d’une idéologie figée. Un contexte qui visiblement les stimule et les pousse à s’exprimer.
La critique du tourisme de masse ne date cependant pas d’hier?
Elle a commencé au XIXe déjà, avec la remise en question de l’exploitation de l’espace alpin, mais aussi avec des réflexions qui annoncent les préoccupations de l’écologie, chez Rod, Javelle ou Alfred Millioud: l’expérience de la montagne révèle et nourrit la nécessité de repenser la place de l’homme dans l’univers, ce qu’on retrouve chez Chappaz par exemple.
Avez-vous été surpris par certains textes?
Au fil de nos lectures, on a bien sûr découvert ou redécouvert des passages magnifiques, comme les pages que Valère Novarina consacre à la Dent-d’Oche, ou la lettre où Rimbaud évoque le Gothard. Il nous semble que plusieurs textes peuvent surprendre, et modifier le regard que l’on porte même sur des lieux canoniques.
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