La parution de cette «Carte blanche» tombe un 1er avril. Nous aurions pu l’appeler «Carpe blanche», mais nous avons préféré rester sérieux.
Faire des poissons d’avril dans les médias, cela ne va pas de soi. La mission des journalistes consiste principalement à dire la vérité, ou du moins à s’en approcher le plus possible. Évidemment, un poisson d’avril, c’est un peu le contraire. Au rythme des bons vieux quotidiens imprimés sur du papier, la baliverne n’avait qu’une durée de vie d’une journée.
Une fois par année, ça passe? Pas sûr, car certaines rédactions préfèrent ne pas insérer de poisson dans leur livraison du 1er avril. Donc les médias qui se prêteraient à ce jeu feraient-ils preuve d’une légèreté particulièrement coupable, en écornant la rigueur journalistique?
Au fur et à mesure que la lutte contre les fake news se développe, la valeur festive du poisson d’avril se dégrade. Sur le web et ses multiples réseaux sociaux, un poisson d’avril peut voir sa vie prolongée de manière insoupçonnée, dévoyée de sa vocation première. Le poisson sera noyé dans l’océan des articles satiriques ou propagandistes, qui deviennent des vérités pour certains.
Plongeons dans les archives. Nous y trouvons un vrai poisson d’avril un peu prémonitoire, et une vraie info, prise avec des pincettes, qui ressemble à un poisson d’avril. Il y a huit ans à la même date, «24 heures» annonçait que la police se servirait de drones pour coller des amendes sur la route.
«Au fur et à mesure que la lutte contre les fake news se développe, la valeur festive du poisson d’avril se dégrade.»
«Ils se positionneront discrètement en vol stationnaire à des heures et à des points aléatoires du réseau routier, ainsi que sur le lac Léman et celui de Neuchâtel […]. Les conducteurs qui empruntent régulièrement nos autoroutes savent exactement où se situent les radars fixes. Grâce à la discrétion de nos drones, ils pourront se faire contrôler n’importe où», assurait le porte-parole de la police cantonale, Jean-Christophe Sauterel. Il se prêtait au jeu, pour accréditer l’information.
Cette fausse histoire vous parle? Normal, elle est devenue un peu réelle, cette semaine. La police thurgovienne a récemment utilisé un drone avec une caméra haute résolution. Un motard à 210 km/h s’est vu retirer son permis. «Le drone ne sert pas à surveiller tous les conducteurs et conductrices, précise l’homologue thurgovien de Jean-Christophe Sauterel. Nous en faisons un usage ciblé.»
Le 1er avril de l’an dernier, «24 heures» a fait sa une sur un animal présumé sauvage, probablement en liberté, le «lion d’Épalinges», en se demandant si c’était un canular. Pensez donc: une importante mobilisation de policiers, la veille, avec l’engagement d’un hélicoptère Super Puma de l’armée, ça aurait fait cher le poisson d’avril. La photo de ce qui s’est avéré être un très gros chien prêtait vraiment à confusion. Non, cette histoire n’a jamais été un poisson d’avril, foi de journaliste!
À propos de frontières brouillées et de photos trompeuses, les pseudo-photos générées par l’intelligence artificielle commencent à circuler. On peut presque ranger ce débat sur les poissons d’avril au placard. L’arrestation de Trump, Macron dans les manifs, le pape dans une parade LGBT circulent sur les réseaux, façon photos d’actualité. Blick.ch a fait un pas avec une pseudo-photo de cinq jeunes dans un avion de luxe pour illustrer un article sur une affaire pénale. «Aucune des personnes apparaissant sur cette photo générée par une intelligence artificielle n’existe», dit la légende. Est-ce vraiment rassurant?
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Carte blanche – Il est pas frais, mon poisson?
Nous devons nous méfier des fake news, et des pseudo-photos d’actualités. Mais faut-il protéger les poissons d’avril?