Crise du coronavirus«Il n’y a pas de modèle qui corresponde à ce qu’on vit»
Interview du spécialiste des situations de crises, le sociologue Pascal Viot, également consultant pour de nombreuses manifestations et responsable de la sécurité du Paléo Festival.

Spécialiste des thématiques liées aux risques et situations de crises, Pascal Viot est chercheur associé au Laboratoire de sociologie urbaine à l’EPFL. Il est également coordinateur du département accueil et sécurité du Paléo Festival et directeur de l’iSSUE (Institut suisse de sécurité urbaine et événementielle). En puisant à la fois dans ses compétences académiques et pratiques, il évoque les particularités de la crise actuelle et ses effets à court et moyen termes.
Qu’est-ce que cette crise a de particulier?
Elle ne fonctionne pas sur un mode conventionnel, avec ce qu’on appelle un «blast» initial – un événement qui balaie tout – à la suite duquel on met en place des outils qui permettent de gérer les conséquences immédiates puis de lancer un cycle de reconstruction. Avec le Covid, on n’a pas ce pic d’intensité suivi d’une redescente jusqu’à un retour à la normale. Au contraire, on observe des reprises d’intensité, anticipées, supposées ou avérées. Par conséquent, il devient difficile de lire l’avenir parce qu’il n’y a pas de modèle qui corresponde à ce qu’on est en train de vivre.
On avait l’impression qu’une fois le confinement passé, les choses allaient reprendre. Or, on observe que la situation continue de se dégrader.
C’est l’autre particularité de cette pandémie: on a des crises dans la crise. Celle de nos outils de gestion, avec des modèles habituels qui s’avèrent partiellement inefficaces. Celle des scientifiques, qui ne sont d’accord ni sur l’évolution possible de l’épidémie, ni sur les logiques de transmission, ni sur les remèdes. Les mesures de protection font également l’objet de controverses, au sein même de la communauté des spécialistes. La parole des experts – qui d’habitude permet au gouvernement de prendre des décisions – se révèle hésitante, voire changeante, très éloignée de l’objectivité scientifique attendue. En cascade cette situation incertaine met en doute jusqu’à la légitimité de la décision politique. Et c’est encore une autre crise dans la crise: celle du rapport de confiance entre population et gouvernement sur les mesures adaptées pour faire face au risque.
En mars, la population s’est néanmoins plutôt bien conformée au confinement.
C’est ce qu’on observe dans le pic d’intensité du début de crise: tout le monde prend la mesure de la gravité de la situation et se plie aux mesures demandées. C’est un réflexe de protection de la communauté qui s’aligne derrière les consignes et accepte un certain nombre de restrictions des libertés. Mais quand une crise dure, que les décisions politiques semblent manquer de cohérence et qu’il n’y a pas de retour à la normale, cette question de la légitimité des mesures prises par les autorités se repose constamment. Et c’est exactement dans cette phase de mise en doute que nous nous trouvons.
Comment en sortir?
Telle est la question! On est confronté à l’inédit et on construit la solution tout en apprenant à connaître les enjeux de cette situation inattendue. Le port du masque, par exemple, c’est une réponse donnée à la crise qui n’est pas parfaite mais qui fait sens, en l’état actuel des connaissances scientifiques. C’est un geste simple, compréhensible par tous, et plus il sera généralisé, plus il sera rassurant, même si des doutes subsistent sur le niveau de protection qu’il procure. Cette mesure est globalement acceptée par la population car elle a l’avantage de la clarté et d’une certaine cohérence. Pour vivre avec l’incertitude actuelle, c’est probablement ce type de compromis raisonnable qu’il faut privilégier, et pas des mesures si rigides qu’elles en deviennent inapplicables. On voit bien que, confronté à de telles mesures, la population – finalement de façon assez raisonnable – entre en résistance contre ce qui est perçu comme une «dictature sanitaire».
Comment faire pour voir la lumière au bout du tunnel?
Pour avancer, il faut faire le deuil de l’ancienne normalité et prendre conscience de la manière dont cette crise nous change. Dans nos habitudes, nos allées et venues mais aussi dans notre définition de la démocratie: quelles décisions sommes-nous prêts à laisser entre les mains de nos dirigeants? Dans ce processus de deuil, il faut nécessairement renoncer à certains usages mais en réaffirmer d’autres. Comme renforcer le sentiment de communauté, le «nous». C’est aussi ça que cette crise peut favoriser. Experts sanitaires, décideurs politiques et population, nous sommes tous dans le même bateau, et on peut ressortir grandi de cette épreuve collective.

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